samedi 10 octobre 2009

L'Héritage d’Esther de Sándor Márai

Quatrième de couverture

Publié en 1939, L'Héritage d’Esther rassemble en un bref récit tout ce qui fait l'art de Márai. Retirée dans une maison qui menace ruine, engourdie dans une solitude qui la protège, une femme déjà vieillissante voit soudain ressurgir le seul homme qu'elle a aimé et qui lui a tout pris, ou presque, avant de disparaître vingt ans plus tôt. La confrontation entre ces deux êtres complexes - Esther la sage, ignorante de ses propres abîmes et Lajos l'insaisissable, séducteur et escroc - est l'occasion d'un de ces face à face où l'auteur des Braises et de La Conversation de Bolzano excelle. La tension dramatique extrême, l'atmosphère somnambulique, l'écriture sobre et précise font de ce court roman un véritable chef-d'œuvre.

« L’héritage d’Esther » reprend beaucoup de thèmes déjà développés dans son roman « Les braises » : univers bourgeois en déconfiture, délabrement et ruine imminentes, nostalgie et fin d’une époque sans perspective d’avenir, huit clos étouffant dans une ancienne demeure qui résiste tant bien que mal à l’usure du temps, présence d’une vieille nourrice silencieuse mais fidèle, résurgence du passé et nécessité d’achever ce qui a commencé vingt ans plus tôt, sans pour autant envisager une quelconque réparation de ce qui fut.

Alors que nous étions assis sur le banc de pierre, je compris brusquement – et de façon désespérante – qu’il vient un moment où l’on ne peut plus rien « réparer ». On vit, on rapièce, on rafistole, on construit et quelquefois, on gâche son existence ; puis, avec le temps, on s’aperçoit que cette vie, telle qu’elle s’est constituée de hasards et d’erreurs, est parfaitement inaltérable. Lajos n’y pouvait plus rien. Lorsque quelqu’un surgit du passé pour annoncer, avec des trémolos dans la voix, qu’il veut « tout réparer », on ne peut que le plaindre et rire de ses intentions. Le temps avait déjà tout « réparé » à sa façon particulière, qui est la seule possible. 

Je suis toujours sous le charme de l’écriture de Sándor Márai. J’aime aussi beaucoup l'ambiance désenchantée et crépusculaire de ses romans, même si j’ai eu un peu de mal à accepter le sentiment de culpabilité et le sacrifice consentant d’Esther malgré sa sagacité et sa lucidité devant les faits. L’important pour Sándor Márai est visiblement d’aller au bout de son destin, au-delà de la raison, avec le courage d’affronter et d’accepter ses inclinaisons obscures et déraisonnables, en prenant tous les risques dont celui de se perdre…


L'Héritage d’Esther de Sándor Márai, Traducteurs Georges Kassai et Zéno Bianu, Le Livre de Poche, 2003, 155 pages

1939 pour l'édition originale.

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