dimanche 18 février 2018

Les Pérégrins d'Olga Tokarczuk

Extrait

Celui qui dirige le monde n’a pas de pouvoir sur le mouvement. Il sait que notre corps en mouvement est sacré. Tu lui échappes que quand tu bouges. Il n’a de pouvoir que sur ce qui est immobile et pétrifié, sur ce qui est passif et inerte. Alors, remue-toi, balance-toi, cours, file !


Mon avis

Olga Tokarczuk propose un récit éclaté en une multitude de chapitres disparates, certains plus courts que d’autres, pour mieux appréhender le mouvement mais aussi le temps, les moments fugitifs et fugaces, comme si la vie ne pouvait s’exprimer qu’en un court instant, avant de céder presque instantanément la place à un souvenir éphémère ou, au mieux, à une trace tenace, preuve ultime de ce qui a été.

Il y a une recherche de l’instantané, du passager, qui singulièrement donne envie de retrouver ce qui subsiste du passé, prolongement artificiel d’un moment de vie pour accéder à un moment d’éternité. Importance du voyage « à l'intérieur du corps » et « dans la tête », une odyssée de l’esprit, des connaissances anatomiques et de la psychologie humaine. Avec un questionnement portant sur l’éthique et la déontologie, lorsqu’on profane le corps sacré pour lui conférer paradoxalement une promesse d'infini. Mais à quel prix ? Etre exposé dans un cabinet de curiosité, aux yeux de tous, comme une pièce de musée, victime à jamais "prisonnière de l'éternité muséale". Le vivant devenu chosifié, déshumanisé, catalogué, étiqueté. Voir, c’est savoir. C’est détenir un pouvoir, aussi.

Voyager, bouger, être en mouvement, c’est vivre, être libre, fuir, s’échapper, espérer, se mettre en danger, rencontrer d’autres pérégrins, mais c’est également se mettre à l’écart du monde et l’observer. Ivresse de l’anonymat. La mort, c'est la stagnation, le prévisible, l'immobilité.

Un beau texte qui nous interroge sur notre propre rapport au temps qui passe, mais également sur notre société sclérosante lorsqu’elle est axée sur le contrôle et la surveillance. Peut-on encore découvrir la réalité avec un regard neuf ? Ou tout a déjà été exploré, détaillé, exposé ? C’est toute la difficulté de ne pas se soumette à ce qui a déjà été imaginé par nous-mêmes ou par d’autres avant nous. La difficulté d’être libre, tout en parvenant à se rendre insaisissable, à l'image des flux et reflux de la vie. 


Ce récit a été lu dans le cadre d’une lecture commune avec Edyta, qui  l'a visiblement autant apprécié que moi.  Je vous invite à lire son billet.

A lire également :
Du même auteur, sur ce blog :

Sur les ossements des morts d'Olga Tokarczuk



4 commentaires:

  1. Merci pour cette lecture commune et je suis ravie que tu l'aies appréciée autant que moi. J'aime bien tes carnets de notes qui mettent en valeur les meilleurs passages et que je garderai ainsi plus longtemps en mémoire.

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    1. Merci à toi, Edyta ! Je n'ai pas terminé avec elle, et j'espère qu'elle sera régulièrement traduite en français ;-)

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  2. Vos présentations se complètent. Elle est difficile à présenter cette lecture. Je veux absolument lire cette auteure cette année. J'avais noté " Sur les ossements des morts ". Il va falloir choisir...

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    1. Les deux romans sont très différents. Il va falloir choisir... en fonction de son inspiration du moment. Quoi qu'il en soit, les deux sont à lire ;-)

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