mercredi 7 février 2018

Carnet de notes n°4 : Les Pérégrins d'Olga Tokarczuk (Lecture Commune)

La psychologie du voyage

Le mouvement, le désir, la psychanalyse topographique, rester incognito, les parodies du voyage, les guides de voyage, le mouvement vers le fond, la psychothéologie du voyage, le syndrome du voyageur.


La psychologie du voyage s'intéresse à l'homme qui est en mouvement, celui chez qui le désir suscite l'envie de tendre vers quelque chose, impulsant la direction à prendre.  Approfondir la signification métaphorique des lieux (la psychanalyse topographique).

[p. 167] Vous êtes-vous déjà demandé ce que signifie « Islande » ou « États-Unis » ?  Quel écho ces mots trouvent-ils en vous, quand vous les prononcez ?



Ne connaître personne et n'être reconnu par personne, s'échapper un instant de sa propre vie.

[p. 168]  Ça ne me faisait pas plaisir de tomber sur des compatriotes à l’étranger. J’ai fait semblant de ne pas comprendre les sons de ma propre langue. Je préférais rester anonyme. Avec un malin plaisir, j’observais à la dérobée ces personnes qui n’avaient pas conscience qu’il y avait là quelqu’un qui comprenait tout ce qu’elles disaient. Je faisais la morte dans mon coin.

Les parodies du voyage :

[p. 92] Les lignes droites – comme elles sont humiliantes ! Comme elles vous rongent l’esprit. Qu’est-ce que c’est que cette géométrie perfide qui fait de nous des abrutis avec ces incessants allers-retours – parodie du voyage ! Partir pour revenir aussitôt. Prendre de l’élan pour tout de suite freiner.


A propos des guides de voyage : décrire, c'est détruire.

[p. 71] Il en est de la description des choses comme de l’usage fréquent de celles-ci – elle exerce une action destructrice. (...)
En nommant les lieux, en les épinglant sur la carte du globe, ces ouvrages édités à des millions d’exemplaires et traduits dans de nombreuses langues, ont contribué à les affadir, à en estomper les contours.(...)
C’est pourquoi, il faut être très prudent. Le mieux serait de ne pas nommer les lieux, mais de louvoyer, de tourner autour du pot et de n’indiquer les bonnes adresses qu’avec une infinie prudence, pour ne pas inciter les gens à s’y rendre en pèlerinage. Sous peine d’y retrouver un lieu mort, un trognon desséché, un petit tas de poussière.



Parvenir au savoir via un mouvement vers le fond, en rétablissant l'équilibre entre la matière et l'antimatière, l'information et l'anti-information.

[p. 75] Il devrait donc exister (...) un autre recueil du savoir où on trouverait tout ce que nous ne savons pas, l'envers, la doublure du savoir, ce qui n'est intégré dans aucune table de matière et dont aucun moteur de recherche ne saurait venir à bout.  Car nous ne cheminons pas à travers l'immensité du savoir avec des mots, mais nous posons les pieds entre les mots, dans les gouffres insondables qui existent entre les concepts.  A chaque fois, le pied se dérobe et  nous tombons. 

Une toute nouvelle discipline : la psychothéologie du voyage

[p. 169] Autrefois, les dieux étaient lointains, inaccessibles à l’homme : ils venaient d’un autre monde, tout comme leurs messagers : les anges et les démons. Mais depuis que l’ego humain a explosé. Il a absorbé les dieux, il les a installés quelque part entre l’hippocampe et le tronc cérébral, entre l’épiphyse et l’aire de Broca. Ce n’est qu’ainsi que les dieux pourront survivre – dans les recoins obscurs et paisibles du corps humain, dans les scissures cérébrales, dans les vides interstitiels entre les synapses. Ce phénomène fascinant commence à être étudié de très près par une toute nouvelle discipline, la psychothéologie du voyage.



Le syndrome du voyageur est un trouble psychique généralement passager que rencontrent certaines personnes confrontées à certains aspects de la réalité du pays visité. 

[p. 169] La croissance du « moi » est telle que, désormais, la réalité subit l’influence de ce qui a été imaginé par nous-mêmes ou par d’autres avant nous. Qui peut encore se mouvoir dans la réalité ? Nous connaissons tous des personnes qui, visitant le Maroc, subiront le prisme de Bertolucci, celui de Joyce à Dublin, et celui d’un film sur le dalaï-lama au Tibet.

Le syndrome de Stendhal 

Inspiré par Stendhal, également appelé « le syndrome de Florence », ce trouble psychosomatique peut se manifester chez certains individus exposés à une surcharge d’œuvres d’art.

[p. 170] Il existe un syndrome singulier qu’on appelle syndrome de Stendhal : lorsqu’on se rend sur un site que l’on ne connaissait que par la littérature ou d’autres formes d’art, l’émotion ressentie est si forte qu’elle provoque un petit malaise ou même une syncope. Nous ne pouvons qu’envier les personnes qui se targuent d’avoir découvert des lieux complètement inconnus – elles, au moins, ont eu l’occasion de goûter, ne fut-ce que fugitivement, une réalité pure, authentique, pas encore engloutie, comme tout le reste, par notre esprit. C’est pourquoi il importe de nous poser inlassablement la même question : où voguent ces gens, vers quels pays, vers quels lieux ? Les autres pays sont devenus un complexe psychique, un nœud inextricable de significations (...)

Le Syndrome de Stendhal par Dario Argento, avec Asia Argento



Le syndrome de Paris

Ce trouble psychologique transitoire est provoqué par un choc culturel lors d'une visite à Paris. Cette affection toucherait plus particulièrement les touristes japonais qui, désemparés par l’écart entre la réalité et leur vision idéalisée de la ville, peuvent présenter un certain nombre de symptômes psychiatriques.  Une vingtaine de Japonais en sont victimes chaque année.

[p. 72] Dans l’encyclopédie des syndromes, dont j’ai parlé plus haut, est décrit le Syndrome de Paris qui affecte essentiellement les touristes japonais venus visiter la capitale de la France. Ce syndrome se caractérise par un choc émotionnel, accompagné de nombreux symptômes d’ordre végétatif, tels que des troubles respiratoires, des palpitations cardiaques, une transpiration anormale et un état de surexcitation. S’y ajoutent parfois des hallucinations. On administre alors aux malades des calmants et on leur conseille vivement de rentrer chez eux. Ces troubles s’expliqueraient par un écart important entre les attentes des touristes-pèlerins et la réalité : le Paris où tous ces gens débarquent ne ressemble pas du tout à la ville décrite dans les guides, pas plus qu’à celle dont ils s’étaient forgés une image à travers les films et les émissions de télé.

Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain par Jean-Pierre Jeunet, avec Audrey Tatou


Il existe également d'autres syndromes, tels que le syndrome de Jérusalem ou le syndrome de l'Inde. 


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