dimanche 6 novembre 2016

Lumière pâle sur les collines de Kazuo Ishiguro

 
Début du roman, chapitre I

Niki : ce nom que nous avons donné à ma fille cadette n'est pas un diminutif, mais le résultat d'un compromis avec son père.  Paradoxalement, c'est lui qui voulait lui donner un nom japonais ; quant à moi, souhaitant peut-être égoïstement que rien ne pût me rappeler le passé, je tenais à un prénom anglais.  Il accepta finalement Niki, trouvant à ce nom une consonance vaguement orientale. 

Elle est venue me voir au début de cette année en avril ; le temps était encore froid et pluvieux. Elle avait peut-être prévu de rester plus longtemps ; je n'en sais rien.  Mais ma maison à la campagne et le calme qui l'entoure la rendaient nerveuse, et je m'aperçus vite qu'elle avait hâte de retrouver sa vie londonienne.  Elle écoutait avec impatience mes disques classiques, feuilletait magazine sur magazine. Le téléphone sonnait fréquemment pour elle, et elle foulait la moquette à grandes enjambées, sa frêle silhouette serrée dans ses vêtements étroits, fermant soigneusement la porte derrière elle pour ne pas me laisser entendre sa conversation. Elle partit au bout de cinq jours.


Mon avis

A Pale View of Hills est le tout premier roman de Kazuo Ishiguro, publié en 1982. En ce qui me concerne, il s’agit du quatrième roman que je lis de l’auteur. Le texte de ce premier roman pourrait sembler d’une plus grande simplicité que ceux qui lui succèderont, pourtant il s’avère non seulement très riche dans la multitude des sujets abordés mais également beaucoup plus complexe qu’on ne le pense. A tel point que vous pourriez passer très facilement à côté d’une ou deux subtilités pour ne pas vous rendre compte que les événements ne se sont vraisemblablement pas passés tels qu’ils sont racontés par la narratrice. Je n’en dirai pas plus à ce sujet mais gardez bien en mémoire l’extrait que je cite ci-dessous, tant il apporte un éclairage important avant d’aborder cette lecture :

« Je m’en aperçois, la mémoire n’est pas toujours digne de confiance ; les souvenirs revêtent souvent une teinte qui leur est donnée par les circonstances dans lesquelles on se souvient, et ceci s’applique certainement à certaines des réminiscences que j’ai rassemblées ici ».

Ceci étant dit, j’aimerais revenir sur les thématiques abordées par l’auteur. Pour ceux qui le connaissent déjà, je ne leur apprends rien en disant que Kazuo Ishiguro est l’écrivain de la mémoire, des réminiscences du passé, de la question de l’identité, de la perte, des promesses non tenues, de la culpabilité et du temps qui passe. Mais ce premier roman accorde aussi une place privilégiée  à son pays d'origine, plus particulièrement sa ville natale Nagasaki, tant il revient à multiples reprises sur les conséquences de la fin de la deuxième guerre mondiale et de la présence américaine au Japon, qui apporteront de grands bouleversements dans la société nipponne. Outre les pertes douloureuses pour les familles, entrainant un changement de statut social pour les survivants, Kazuo Ishiguro aborde le changement de mœurs et le clivage entre l’ancienne et la nouvelle génération, qui ne partagent plus les mêmes valeurs. Il revient également beaucoup sur l’assujettissement de la femme dans la société japonaise, qui va bénéficier de ces changements pour se reconstruire en bénéficiant de nouvelles perspectives, lui offrant l'opportunité de s’émanciper progressivement. Un futur meilleur mais qui ne se fera pas sans sacrifices…


Quatrième de couverture

Après le suicide de sa fille aînée, Etsuko, une Japonaise installée en Angleterre, se replonge dans les souvenirs de sa vie. Keiko, née d'un premier mariage au Japon, ne s'est jamais acclimatée à l'Angleterre, et surtout elle n'accepta pas le remariage de sa mère avec un homme qu'elle considéra toute sa vie comme un parfait étranger. Mais peut-être l'explication du drame demeure-t-elle enfouie dans le Japon de l'après-guerre, à Nagasaki, ville martyre qui se relevait des plaies de la guerre et du traumatisme de la bombe, durant cet étrange été où, alors qu'elle attendait la naissance de Keiko, Etsuko se lia d'amitié avec la plus solitaire de ses voisines, Sachiko, une jeune veuve qui élevait sa fille, la petite Mariko... 


Lumière pâle sur les collines de Kazuo Ishiguro, traduit de l'anglais par Sophie Mayoux,  Collection Folio, 4 juin 2009, 304 pages


Quelques mots sur l'auteur

Écrivain et romancier britannique d'origine japonaise, Kazuo Ishiguro est né en 1954 à Nagasaki.  Arrivé en Grande-Bretagne à l’âge de cinq ans, ses parents ne pensent pas y rester définitivement et préparent l'enfant à poursuivre le reste de son existence au Japon. Ce retour ne se fera pas. Ishiguro suit ses études de littérature et de philosophie dans les universités du Kent et d'East Anglia et il reste de manière définitive en Angleterre, aux côtés de sa femme écossaise. En 1995, Kazuo Ishiguro a été décoré de l’Ordre de l’Empire britannique pour services rendus à la littérature et, en 1998, la France l’a fait chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. Deux de ses livres ont été adaptés au cinéma : Les Vestiges du jour  par James Ivory, avec Emma Thompson et Anthony Hopkins, et, plus récemment, Auprès de moi toujours par Mark Romanek, avec Carey Mulligan et Keira Knightley.


Bibliographie sélective



Du même auteur, à lire également sur ce blog :


* Un artiste du monde flottant
* Auprès de moi toujours 

4 commentaires:

  1. Un auteur qui me tente.

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    1. Je l'apprécie beaucoup et je vais très certainement lire tous ses romans. Mais c'est un auteur difficile à conseiller, tant je peux comprendre aussi qu'on puisse passer à côté. "Auprès de moi toujours" est pour moi son roman le plus facile à lire de ceux que j'ai lus. Mais c'est aussi un roman d'anticipation, faut aimer le genre (même si c'est soft). Quoi qu'il en soit, il faut tenter de lire Kazuo Ishiguro. Et si tu es aussi sensible que moi à son style et à l'atmosphère que ses romans dégagent, tu n'hésiteras plus à te lancer dans ses autres romans ;-)

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    2. Je pensais à "Les vestiges du jour" ou "Le géant enfoui" pour commencer.

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    3. Je n'ai pas encore lu Les vestiges du jour, mais je pense que c'est un très bon roman.

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