lundi 15 février 2016

Une vie sur le Bosphore par Irfan Orga



Extrait
 
Je suis né à Istanbul, le 31 octobre 1908. À ma naissance, ma mère avait quinze ans, et mon père vingt. J’étais leur premier-né. Notre maison, perchée derrière la Mosquée bleue, était tournée vers la mer de Marmara. Elle se dressait à l’angle d’un petit cul-de-sac, séparée de la mer par un simple muret de pierre. C’était un endroit calme et très vert, avec une toute petite mosquée à proximité, et j’en garde l’un de mes tout premiers souvenirs, celui du bruit inlassable et doux de la mer de Marmara et du chant des oiseaux dans les jardins.


Mon avis

Ainsi débute l’autobiographie d’Irfan Orga, né au début du vingtième siècle dans une famille prospère qui va vivre, sans le savoir, les dernières années de l’Empire Ottoman, dans la mesure où cette vie de famille paisible et traditionnelle sera totalement chamboulée lorsqu’éclatera la Première Guerre mondiale. De nombreux jeunes hommes du pays, dont le père et l’oncle du narrateur, qui se retrouveront dans l’obligation de s’engager aux côtés des allemands, y perdront la vie. Se retrouvant rapidement dans le besoin, l’incendie de leur maison les précipite encore un peu plus dans une grande précarité. Obligés de s’adapter à cette existence nouvelle, ce sont tous les membres d’une famille, à présent « sans homme », qui vont devoir lutter pour leur survie avec leurs maigres moyens, non sans mal ni sans conséquences.

N’attendez pas de cette autobiographie un récit d’histoire richement documenté ou une prise de position sur les événements rencontrés au cours d’une vie tourmentée. Car une grande partie du roman se passe à hauteur d’enfant en temps de guerre, un enfant qui vit entouré d’une grand-mère capricieuse, d’une mère qui perdra progressivement la raison, d'un jeune frère et d'une petite sœur souffrant gravement de malnutrition. Ce qui donne lieu à un récit extrêmement touchant, émouvant et de plus en plus mélancolique au fil des pages, notamment lorsqu’on saisit à quel point le destin de la mère d’Irfan fut tragique, et culpabilisant pour son fils.

« Une vie sur le Bosphore est une autobiographie de larmes et d’au revoir », comme le résume très bien le propre fils de l’auteur, dans un épilogue d’une cinquantaine de pages. Un épilogue qui confère à l’ensemble une touche de tristesse et de compassion supplémentaires à l’égard de ce père, Irfan Orga, pour qui « la dignité, la vérité, la loyauté, la fidélité et la discipline de soi comptaient plus que tout le reste ». On ne peut que ressentir une vive empathie pour tous les membres de cette famille, avec comme points d’orgue deux beaux portraits de femmes (celui de la mère et de la grand-mère) plongées dans les soubresauts de l'histoire. Le tout porté par une écriture au demeurant fort simple mais convenant parfaitement à ce type de récit : nul besoin de fioritures, il s’agit d’aller à l’essentiel sans affectation ni détour du langage. 


Irfan Orga, présentation  par l’éditeur : 

Irfan Orga est né au début du siècle et a grandi à Istanbul. Il entre très jeune dans l’armée de l’air turque et devient officier de carrière. Lors de son premier séjour en Angleterre en 1942, il est l’invité de la Royal Air Force. En 1947, il s’installe définitivement à Londres avec sa femme anglaise et se consacre à l’écriture. En 1950, Une vie sur le Bosphore est publié en anglais, suivi de plusieurs essais historiques. Réédité en Angleterre trente ans après la première parution, Une vie sur le Bosphore a récemment été publié en Turquie et à travers l’Europe. 



Une vie sur le Bosphore par Irfan Orga, traduit par Johan-Frédérik Hel Guedj, Éditions Le Livre de Poche, 09/11/2011, 608 pages. Éditeur d'origine:  Éditions des Deux Terres.


2 commentaires:

  1. Superbe début qui donne envie de continuer comme le fait du reste votre chronique. Merci.

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    1. Je vous souhaite la bienvenue sur ce blog Laure. Si je peux me permettre, je vous conseille cette lecture, qui m'a laissé un excellent souvenir. Le lecteur a vraiment l'impression de faire partie de cette famille et l'auteur arrive, tout en restant à hauteur d'enfant dans la première partie, à rendre compte de toutes les répercussions sociales, familiales et personnelles qui feront suite à des décisions purement politiques ou géopolitiques. Puis il y a deux très beaux portraits de femmes, la mère et la grand-mère, très différentes mais touchantes, à leur manière. Une excellente lecture en tout cas.

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