mercredi 22 avril 2015

La prison de Georges Simenon

« Combien de mois, d'années, faut-il pour faire d'un enfant un adolescent, d'un adolescent un homme ? A quel moment peut-on affirmer que cette mutation a eu lieu ? Il n'existe pas, comme pour les études, de proclamation solennelle, pas de distribution de prix, pas de diplôme. Alain Poitaud, à trente-deux ans, ne mit que quelques heures, peut-être quelques minutes, pour cesser d'être l'homme qu'il avait été jusqu'alors et pour en devenir un autre. » 

Nous sommes le 18 octobre, à Paris. La police judiciaire annonce à Alain Poitaud, directeur de l’hebdomadaire « Toi », que sa femme vient de tirer sur sa sœur cadette. Pourquoi l’avoir tuée ? Par jalousie ? Alain avait bien été l’amant de sa belle-sœur pendant plusieurs années mais leur relation avait cessé depuis plus d’un an. Et s’il ne s’en était jamais confié à sa femme, il ne lui avait jamais caché ses nombreuses infidélités. Pour crime passionnel ? Et s’il n’avait pas été le seul homme à se partager les deux femmes ? Deux sœurs qui ne se sont jamais aimées, la cadette éprouvant depuis toujours un fort sentiment de jalousie envers son ainée. .. 

Si Simenon amorce son récit comme une enquête policière, ce n’est que pour mieux s’en détourner tant l’enjeu est ailleurs, notamment dans l’impact que cet événement majeur aura sur la vie d’Alain Poitaud. Un personnage très déplaisant et pour lequel aucune empathie n'est possible : mondain, antipathique, superficiel, cynique, coureur de jupons invétéré, bref un homme qui brille en société mais qui sonne creux. Petite anecdote en passant, ce personnage fait curieusement penser à Frédéric Beigbeder, allant jusqu’à partager la même profession de directeur d’un magazine de charme hebdomadaire (« Lui » pour Frédéric Beigbeder et « Toi » pour Alain Poitaud). Une coïncidence dans la mesure où l’écriture de ce roman précède bien évidemment l’image publique de BBD mais peut-être une source d’inspiration, dans la mesure où la création du magazine  « Lui » est, quant à elle, bien antérieure à l’écriture du roman. Un récit qui s’articule donc principalement autour d’Alain Poitaud, un personnage sans grandeur qui va se rendre compte de la vacuité de son existence et dont nous suivrons pas à pas l'action et les pensées, comme en continu.

Simenon signe ici un roman noir, repris d’ailleurs dans la catégorie des « romans durs » de l’auteur, dans la mesure où il s’affranchit des codes du polar pour mieux cerner la faiblesse de ses personnages. Des hommes terriblement seuls, creux et vides. Des hommes soumis à une sorte de fatalité et qui n’arriveront pas à surmonter la situation extrême qui se présente à eux, un événement majeur qui prendra la forme d’une rupture définitive sans aucun retour arrière possible.

Froid, glaçant et très pessimiste. 

La prison de Georges Simenon a été écrit le 12 novembre 1967 à Épalinges, dans le canton de Vaud en Suisse.  L'édition originale, dans les Presses de la Cité, date de 1968.

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* Les Fiançailles de M. Hire
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