mercredi 13 août 2014

Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov

Les Récits de la Kolyma sont de courts fragments rassemblés sur plus de 1.500 pages que compte le recueil de l’auteur Varlam Chalamov. Cet écrivain russe (1907-1982) passa 22 ans de sa vie au goulag de la presqu’île de la Kolyma, région se situant aux confins extrêmes du Nord-Est de la Sibérie.

L’isolement, l’éloignement, le climat et les conditions de vie très dures de cet enfer gelé ont fait de la Kolyma un endroit totalement à part du reste de la Sibérie, où les conditions de réclusion étaient particulièrement éprouvantes et pénibles. Cette région était donc légitimement devenue la plus redoutée entre toutes : « Kolyma znatchit smert » (Kolyma veut dire mort), telle était la sentence pour ceux qui s’y rendaient contraints et forcés.

Outre les conditions climatiques extrêmes qui conduisaient aux gelures et amputations diverses et les rations alimentaires nettement insuffisantes, les prisonniers devaient lutter contre l’épuisement mental et physique, les maladies tels que le scorbut et la dysenterie, les brimades, les tortures diverses sans oublier la soumission aux travaux forcés. Le taux de mortalité parmi les prisonniers atteignait 30% la première année et à peu près 100% dans la deuxième.

Varlam Chamalov y survécu contre toutes attentes. Après avoir contesté la prise du pouvoir de Staline en diffusant de manière clandestine Les Lettres au Congrès du Parti, appelées par la suite Le Testament de Lénine, qui remettait en cause la légitimité de Staline à la tête du Parti Communiste, il se fera arrêter une première fois en 1929, une deuxième fois en 1937, époque de la grande purge qui va le renvoyer dans les camps. Les opposants au régime étaient déportés vers la Kolyma afin d’exploiter les riches gisements d’or de la région, constituant ainsi une main-d’œuvre servile et corvéable à souhait. Varlam y survivra plus de 20 ans et ne sera libéré qu'en 1951, tout en y restant assigné à résidence jusqu’en 1953 (date de la mort de Staline). C’est à cette époque qu’il écrivit de la poésie. Il sera définitivement réhabilité en 1956.

Les récits de la Kolyma peuvent être vus comme des courts fragments se rapprochant d’instantanés pris sur le vif dans les camps : situations bureaucratique absurdes, arbitraires et cruelles, conditions de vie inhumaines, souffrances diverses, Varlam ne nous épargne rien ! Récits extrêmement âpres, sombres, durs, sans concession sur la nature humaine sous le couvert d’une écriture magnifique, car Varlam est avant tout un écrivain qui témoigne de l’oppression stalinienne. Nous voulons voir en Varlam une espèce de survivant mais non, même sa fin de vie sera un calvaire, interné dans un hospice moscovite contre sa volonté, sourd et muet, rien ne lui aura été épargné.

Ces récits de la Kolyma, composés de 1950 jusqu’à sa mort en 1982, demeurent l’unique œuvre de l’auteur. Les éditions Vernier réunit en un seul volume ces six livres qui feront de Varlam Chalamov l’un des écrivains majeurs du vingtième siècle. Témoignages poignants, sans artifices ni embellissements, sans procédés littéraires pour enrober les faits tels qu’ «ils se sont passés », sans fioritures mais au service d’une plume âpre qui nous marque au fer rouge.

Chaque instant de la vie des camps est un instant empoisonné. Il y a là beaucoup de choses que l’homme ne devrait ni voir ni connaître ; et s’il les a vues, il vaudrait mieux pour lui qu’il meure.

Le détenu y apprend à exécrer le travail ; il ne peut d’ailleurs y apprendre rien d’autre.

Il y apprend la flagornerie, le mensonge, les petites et les grandes lâchetés ; il devient égoïste.

Lorsqu’il recouvre la liberté, il s’aperçoit que non seulement il n’a pas progressé pendant sa détention au camp mais qu’au contraire ses centres d’intérêts se sont rétrécis, sont devenus pauvres et primitifs.

Les barrières morales ont été repoussées hors de sa vue.

Il découvre qu’on peut commettre des lâchetés et vivre.

On peut mentir et vivre.

On peut promettre, ne pas tenir ses promesses et vivre.

On peut boire l’argent d’un camarade.

On peut demander la charité et vivre ! Mendier et vivre !

Il découvre qu’un homme qui a commis une vilenie ne meurt pas.

Il s’habitue à la fainéantise, à la tromperie et à l’agressivité contre tous et tout. Il accuse le monde entier en pleurant sur son sort.

Il attache beaucoup trop de valeur à ses propres souffrances en oubliant que chacun à sa part de malheur. Il n’est plus capable de compatir au malheur d’autrui, il l’ignore tout simplement, refuse de comprendre.

Le scepticisme, passe encore : à tout prendre, c’est un des meilleurs héritages du camp.

Il apprend à détester les gens.

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