mardi 19 janvier 2010

Dom Juan ou Le Festin de pierre de Molière

Quatrième de couverture

« L’'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus » : voilà comment Dom Juan se justifie auprès de son valet Sganarelle, scandalisé de voir son maître tromper tout le monde autour de lui, des femmes les plus naïves qu'il séduit sans vergogne aux hommes les plus nobles qu'il mène par le bout du nez sans se démonter. De fait, Dom Juan n'a qu'une ambition : jouir de tous les plaisirs, sans jamais céder aux sirènes de la morale. Il lui faut toutes les voluptés et il les obtient facilement en manipulant ses victimes avec des mots trompeurs. Seule la mort pourrait l'arrêter : n'est-ce pas elle justement qui vient le chercher, lorsque la statue du commandeur s'anime sous ses yeux ?

Comédie en prose écrite en 1664, alors que la représentation de Tartuffe était censurée et la pièce attaquée par le parti dévot, Molière s’empare d’un personnage déjà connu à l’époque et qui apparu pour la première fois en 1625 dans El Burlador de Sevilla de Tirso de Molina, un moine espagnol.

Le Dom Juan de Molière est un personnage contrasté : irrévérencieux, impertinent, infidèle, perpétuellement insatisfait mais aussi libertin et adepte de la libre-pensée, séduisant, intelligent et courageux. Un personnage subversif qui ne plaira pas plus au parti dévot que sa précédente pièce Tartuffe. Et on peut comprendre pourquoi les religieux de l’époque présumèrent Molière de faire l’apologie du libertinage : face au cynisme de son maître, son valet Sganarelle essaye tant bien que mal de ramener Dom Juan sur le droit chemin pour le salut de son âme mais il le fait avec une telle maladresse que cela prête plus à rire qu’autre chose. Pourquoi plaide-t-il si mal la morale et la religion bafouées par son maître ? Y aurait-il quelques vérités dans les tirades de Dom Juan pour avoir tant de difficultés à y parer comme la bienséance l’y inviterait ? Ajoutons à cela que Dom Juan ne se reniera jamais et demeura fidèle à ses convictions même si la morale est sauve en punissant ses péchés (nous sommes en 1664, ne l’oublions pas).

Extrait :

Sganarelle
Ah ! Monsieur, c’est le Ciel qui vous parle, et c’est un avis qu’il vous donne.

Dom Juan
Si le Ciel me donne un avis, il faut qu’il parle un peu plus clairement, s’il veut que je l’entende.



lundi 4 janvier 2010

Titus errant de Mervyn Peake

« Titus errant » est le troisième volet de la trilogie de Gormenghast.

Titus, le soixante-dix-septième comte d’Enfer, a aujourd'hui grandi. Ivre de liberté, de changements et d’aventures, il n’en peut plus des rites immuables et codifiés aux origines depuis longtemps perdues de Gormenghast, forteresse immuable et monde clos étouffant pour un jeune homme en quête d’identité.

Véritable voyage initiatique, ce troisième volet se distingue des deux premiers par la forme et le contenu.

Par la forme d’abord : « Titus errant » est composée avant tout de notes éparses de l’auteur, et certaines critiques n’ont pas hésité à faire le lien entre celles-ci et les premières manifestations de la maladie de Parkison dont sera atteint l’auteur.

Par le contenu ensuite, dans la mesure où nous quittons les murailles et les dimensions démentielles du château de Gormenghast pour suivre les pas du jeune Titus errant. Si Gormenghast reste toutefois en filigrane, de par sa présence constante dans la mémoire du jeune héros, on ne peut qu’être orphelin de ses entrailles ainsi que de ses habitants, personnages auxquels nous nous étions attachés lors des deux premiers volets.

Il va sans dire que cette diversité dans la forme et le contenu rendent ce troisième volet de la trilogie moins attrayant que les deux autres. Le sujet n’en est pas pour autant insignifiant : angoisse de l’exil, nécessité de revenir à ses racines - véritable socle de son identité - même si ce n’est que pour mieux reprendre le chemin de l’aventure, Titus se rend compte qu’il ne pourra jamais faire table rase de son passé mais doit au contraire parvenir à porter Gormenghast en lui s’il veut un jour s’en éloigner définitivement.

Ainsi se clôture une fabuleuse trilogie (plus de 1330 pages en tout) aussi fantasmagorique que baroque et imaginative, un univers singulier qui confère au sublime de l’imaginaire. Avez-vous faim de folie, de mélancolie, de rire, de finesse, de barbarie mais surtout de créativité et d'inventivité ? Alors cette trilogie vous attend de pied ferme ! Je ne peux, quant à moi, que vous souhaiter un excellent voyage dans les contrées extraordinaires de Mervyn Peake, tachez toutefois de ne pas vous perdre dans les méandres de Gormenghast.

Mervyn Peake (décédé en 1968) est un auteur culte en Angleterre où ses rééditions en livre de poche ne se comptent plus. Il n’en demeure pas moins un auteur inclassable : ses romans n’appartenant ni au genre fantastique ni au genre gothique (la Fantasy ne répondant pas mieux à sa définition), l’auteur a su créé un univers unique en son genre, dans lequel la tragédie et l’effroi se disputent à l’humour et au burlesque, un genre tragi/comique dans lequel excellent bon nombre d’auteurs anglais prestigieux, Mervyn Peake en faisant indubitablement partie. 

La trilogie de Gormenghast de Mervyn Peake au complet :

Tome 1 : Titus d'Enfer, Editions Phébus Libretto, 502 pages
Tome 2 : Gormenghast, Editions Phébus Libretto,552 pages.
Tome 3 : Titus errant, Editions Phébus Libretto, 281 pages

dimanche 3 janvier 2010

Gormenghast de Mervyn Peake

Deuxième volet de la trilogie de Gormenghast, j’ai mis du temps à lire la suite du premier volet, un an très exactement. C’est que l’accès à l’univers baroque, sombre et déjanté de l’auteur demande des conditions de lecture particulières en ce qui me concerne, aimant me fondre dans les murailles du château de Gormenghast les froides et sombres soirées d’hiver, histoire de me mettre dans l'ambiance adéquate. J’ai toutefois mis du temps avant de replonger dans cet univers singulier, ayant dû attendre de dépasser les 150 premières pages avant de me sentir à nouveau happée par l’atmosphère oppressante et étouffante du château.

Ce deuxième volet, intitulé « Gormenghast », porte légitimement le nom du château tant sa construction labyrinthique, ses dimensions - tellement énormes qu’elles nous semblent infinies-, sa décrépitude couplée à sa majesté ancestrale, son ombre même sur le village occupent une place prépondérante dans ce récit. Les personnages ne sont pourtant pas en reste : aussi grotesques que singulièrement originaux, ils suscitent autant notre intérêt que le château en lui-même.

L’histoire est pourtant simple : la vie de Gormenghast s’organise depuis toujours selon des rites ancestraux qu’accomplit le maître des rites, garantissant la sécurité du peuple ainsi que la famille du grand seigneur occupant les lieux. Mais une lourde menace plane dans ses murs et aux alentours : des meurtres et des disparitions inexplicables se multiplient, l’intrigant Finelame est proche de s’emparer du pouvoir, la folie guette ses habitants et des bouleversements inimaginables approchent à grands pas. Ajoutons à cela que le jeune Titus, le soixante-dix-septième comte d’Enfer, ne supporte plus de vivre au rythme des rites ancestraux et ne rêve que de liberté et d’évasion. En dépit de toutes ces menaces, il n’est pas dit que Gormenghast périra tant la lutte contre les forces du mal s’organisent et se mettent en place…

Malgré cette apparente simplicité, l’imagination de l’auteur arrive à construire un univers à nul autre pareil, si original que l’ensemble ne peut que paraître sublime au final.

Ce deuxième volet est par ailleurs souvent très sombre et très angoissant - beaucoup de personnages principaux meurent, certains dans des conditions atroces et dramatiques – mais l’horreur côtoie également des passages totalement hilarants et burlesques à souhait (les approches entreprenantes de Irma Salprune et de Belaubois m’ont fait pleurer de rire). Mervyn Peake m’a à nouveau complètement bluffée par l’originalité de son univers, si particulier et si attachant à la fois.