vendredi 29 mai 2009

La théorie des cordes de José Carlos Somoza

Quatrième de couverture

Isolée sur un atoll de l'océan Indien, la fine fleur de la physique mondiale est en quête du Graal. Elle œuvre à un ambitieux projet fondé sur la théorie des cordes, qui permettrait d'ouvrir le temps. S'ils parviennent avec ravissement à contempler le passé de l'humanité - la crucifixion du Christ ou la terre à l'ère jurassique -, les scientifiques perçoivent rapidement que ce programme, financé par de mystérieux fonds privés, pourrait connaître des applications moins angéliques. Un drame conduit à la suspension immédiate des recherches, dispersant aux quatre vents les apprentis sorciers.

Dix ans plus tard, clans une université de Madrid, Elisa Rohledo déplie un journal pour étayer une thèse de physique théorique. Une fraction de seconde lui suffit à comprendre qu'elle est en danger de mort. Aux côtés d'un confrère, depuis toujours intrigué par la modestie des aspirations professionnelles de la séduisante physicienne au regard de son cursus académique, Elisa et ses anciens acolytes retournent aux origines de la tragédie, sur cet îlot où ils avaient profané le temps.

Bilan de lecture mitigé : je m’attendais à un thriller haletant de bout en bout et je me suis retrouvée avec un roman qui démarre bien mais qui rapidement ne tient plus ses promesses, la monotonie guettant même en fin de parcours. Pourtant le thème avait tout pour me séduire et la fluidité de l’écriture de Somoza est toujours aussi agréable à lire. Mais trop de répétitions, le manque de souffle, une histoire qui s’englue, des ficelles narratives récurrentes et des explications qui manquent cruellement de vraisemblance ont fait que je me suis retrouvée à tourner les pages gentiment mais sans conviction aucune, avec même une pointe d’ennui (un comble pour un thriller). C’est étrange mais Somoza a réussi à me faire totalement douter de la crédibilité de son récit là où d’autres auteurs, beaucoup plus fantasques et imaginatifs, réussissent à me convaincre de par la cohérence de l’univers qu’ils proposent. Dommage car il y avait matière à construire un thriller plus efficace et mieux abouti.

lundi 25 mai 2009

Pétales et autres histoires embarrassantes de Guadalupe Nettel



Toute amitié est un drame inapparent, une suite de blessures subtiles.

Emil Cioran - De l’inconvénient d’être né

                  

Le recueil de nouvelles Pétales nous entraîne dans six nouvelles aussi étranges et inquiétantes les unes que les autres : Ptôse ou l’histoire d’un photographe fasciné par les paupières des femmes - Transpersienne ou l’histoire d’une femme spectatrice d’une scène d'onanisme chez son voisin d’en face -  Bonsaï  ou l’histoire d’un homme qui découvre dans un jardin botanique sa vraie nature de cactus - L'Autre côté du Quai ou la recherche de la vraie solitude – Pétales ou l’histoire d’un chasseur d'odeurs qui traque sa Fleur dans les toilettes pour dames et enfin Bézoard ou l’histoire d’une femme atteinte de trichotillomanie qui tombe amoureuse d’un homme lui-même atteint de manies. 
Comme vous pouvez le constater, ce court recueil de nouvelles explore les zones d’ombres et les frontières fragiles de l’anormalité : voyeurisme, trouble obsessionnel compulsif, manie, fétichisme, l’auteur Guadalupe Nettel nous entraîne dans le monde étrange de l’obsession et de la perversité par petites touches, donnant à ces récits une tonalité empreinte d’étrangetés suscitant un certain malaise chez le lecteur. La première nouvelle Ptôse m’a d’ailleurs terriblement fait penser au court récit L’annulaire de Yôko Ogawa.
 
Une manière poétique d’aborder certaines déviances psychologiques, que ce soit en approchant la perversité, les névroses ou certains états proches de la dépersonnalisation. Nous sommes loin des classifications psychiatriques froides et sans nuances des comportements déviants : Guadalupe Nettel lève le voile sur cette part de monstruosité qui est en nous et qui nous concerne tous, tant la frontière peut parfois être mince entre le normal et le pathologique, d'où ce sentiment de malaises, de troubles et de gênes à la lecture.
 
Une belle réussite et un auteur à suivre, sans aucun doute !
 
Guadalupe Nettel est née à Mexico en 1973. Elle collabore à différentes revues et suppléments littéraires et est l'auteur de deux recueils de nouvelles : Les Jours fossiles (L'Eclose, 2002) et Pétales (Actes Sud, 2009), ainsi que du roman L'Hôte (Actes Sud, 2006). Pétales a obtenu au Mexique les prix Gilberto Owen et Antonin Artaud. 


lundi 18 mai 2009

Les monstres de Templeton de Lauren Groff

Quatrième de couverture

" Le jour où je revins à Templeton, en pleine disgrâce, le cadavre d'un monstre mesurant près de seize mètres émergea à la surface du lac Glimmerglass ". Ainsi s'ouvre Les Monstres de Templeton, un roman qui balaie deux siècles d'histoire : celle d'une jeune fille à la recherche de son père, et celle d'un village, ancrée dans l'Amérique profonde, au milieu des légendes et des secrets de famille. A la suite d'une déconvenue amoureuse, Willie Upton frappe à la porte de la vieille demeure où vit encore sa mère, Vivienne, ancienne hippie devenue baptiste fervente sur le tard... Au lieu du réconfort qu'elle vient y chercher, Willie trouve le village sens dessus dessous, chamboulé par l'apparition d'un animal démesuré, et découvre un terrible mensonge : son père existe bel et bien, elle n'est pas le fruit hasardeux des amours libres de sa mère, mais bien la fille d'un homme connu et reconnu dans Templeton. Lancée dans une enquête à rebondissements pour retrouver son père, elle part sur la trace de ses ancêtres et reconstitue la fabuleuse généalogie qui mène à son histoire.

Quel sympathique roman et quels personnages truculents et attachants ! Nous voilà embarqués dès les premières pages dans la vie des habitants de Templeton : lorsque Willie Upton revient chez sa mère désoeuvrée en pensant être enceinte de son professeur de fac, elle ignore encore que son père naturel jusqu’alors inconnu est non seulement un habitant de la ville mais également un membre de sa famille dans la mesure où il serait issu d’une branche bâtarde de l’arbre généalogique. En voilà une nouvelle, car il faut savoir que Willie Upton n’est pas issue de n’importe quelle famille : elle est l’ultime descendante de la famille la plus illustre de Templeton, son aïeul Marmaduke Templeton ayant poser les fondations de la ville deux siècles plus tôt. Quel aïeul a pu tromper son conjoint et concevoir un enfant illégitime dont son père naturel serait l’ultime descendant ? Pour répondre à cette question, Willie Upton se lance à corps perdu dans une recherche généalogique afin de retrouver l’identité de son père naturel mais aussi peut-être oublier un temps d’autres problèmes plus ‘personnels’.

Son grand retour dans sa ville natale sera également l’occasion de renouer certains liens avec d’anciennes connaissances, comme les joyeux joggeurs mais aussi d’anciens camarades de classe oubliés depuis longtemps mais qui se feront un plaisir de se rappeler à sa mémoire…

Cette recherche généalogique servira également de prétexte pour parcourir deux siècles d’histoire de la ville à travers les lettres, archives, témoins et journaux intimes découverts lors de ses recherches.

Saga familiale, quête identitaire, secret de famille, parcours initiatique, le tout agrémenté d’un soupçon de fantastique, « Les monstres de Templeton » est un roman idéal pour ne pas se prendre la tête et décompresser. Sans oublier une écriture fluide sans aucun temps morts et des personnages bien développés, enfin bref, un bon roman divertissant avec tout ce qu’il faut pour passer un excellent moment de lecture.

Il n’est guère étonnant que ce premier roman d’une jeune auteure américaine de 30 ans à peine ait connu dès sa publication aux Etats-Unis un beau succès littéraire. Une réussite amplement méritée. Et je guetterai avec curiosité la parution de son prochain roman !

samedi 16 mai 2009

La femme dans le frigo de Gunnar Staalesen

Le polar venu du froid ayant le vent en poupe, et après avoir apprécié les auteurs islandais Arnaldur Indriðason et Arni Thorarinsson sans oublier l’auteur suédois Stieg Larsson et sa désormais très célèbre trilogie « Millénium », j’avais envie de me frotter un peu à un autre auteur de polar nordique, plus précisément le norvégien Gunnar Staalesen.

Gunnar Staalesen se lance dans le roman policier en créant en 1975 le détective privé Varg Veum, homme solitaire connaissant des problèmes d’alcool et explorant à l’occasion de ses enquêtes les plaies et vices de la société norvégienne. Bref, un héros sans grande originalité qui respecte assez bien les règles du genre, tout en permettant à l’auteur de donner une vision réaliste de la société norvégienne en allant plus loin que les images d’Épinal que nous pouvons avoir du célèbre modèle social scandinave.

« La Femme dans le frigo », écrit en 1981 et publié pour la première fois en France aux éditions Gaïa en 2003, est le quatrième volume de la série des Varg Veum, après « Le loup dans la bergerie », « Pour le meilleur et pour le pire», et « La Belle dormit cent ans ».

Un jeune homme a disparu. Employé sur les plates-formes pétrolières du port norvégien de Stavanger, il n’a plus donné signe de vie à sa mère, une femme âgée d'une soixantaine d'années,  depuis son retour à la terre ferme . Le détective privé Varg Veum, engagé par cette femme qui s’inquiète de ce long silence et qui n’arrive plus à joindre son fils depuis lors, part enquêter dans cette ville étrange transformée par l'or noir. Un garçon sans histoires. La logeuse confirme. L'appartement est vide. Aucune trace de désordre. A un détail près : dans le frigo, le corps sans tête d'une femme...

Que dire sur ce roman ? Gunnar Staalesen a une plume honnête mais cela n’a pas suffit à me convaincre totalement. L’intrigue n’est pas follement originale et le propos guère plus (la ville qui se dégrade depuis l’exploitation de son or noir et dans laquelle le progrès et la croissance vont de pair avec l’augmentation de la criminalité en tous genres, ce n’est tout de même pas très novateur). Soulignons tout de même que l’écriture de ce roman n’est pas toute récente, puisqu’elle date de 1981 ! Il est bien possible que le propos et l’intrigue faisaient preuve de plus d’originalité à cette époque alors qu’il donne une impression de déjà vu à l’heure actuelle. Il ne reste que ce roman si lit facilement sans trop de mauvaises surprises non plus.
Dommage qu’il y ait un si grand décalage entre les parutions originales de la série des Varg Veum et celles traduites en français car j’aurais bien volontiers essayé de me procurer un de ses derniers romans pour ne pas rester sur cette impression mitigée et constater par moi-même le parcours suivit par l’auteur depuis lors.


jeudi 14 mai 2009

Aloe Ferox de Hella S. Haasse

Quatrième de couverture


Dans les années 1930, un couple de Japonais s'installe à Batavia et occupe une modeste maison dont il partage le jardin avec deux autochtones, Eurasiennes désoeuvrées et cancanières. Dans ce jardin, une plante immense aux bras tendus vers le ciel semble déplaire à la jeune femme : raide et agressive, cet aloès lui fait regretter l'élégance des pivoines odorantes de son pays natal. Derrière la haie, les voisines épient Mme Yamada à longueur de journée, interprètent les mystères de son comportement. Mais lorsqu'elle sera en danger tout près de l'aloès, les deux commères assisteront sans comprendre à un drame qui les dépasse... Ecrites depuis 1948, les sept nouvelles rassemblées ici par l'auteur illustrent parfaitement la thématique de l'ensemble de son oeuvre. Elles abordent ainsi le thème du secret, ou de l'empathie avec un passé dont la présence peut être étrangement ressentie, et parfois envahir notre imaginaire.

Raffinement, solidité de l'écriture : marque indélébile d'un auteur qui montre à travers le temps une remarquable permanence ; finesse psychologique et puissance imaginative qui ne se contente pas d'investir le passé mais s'aventure souvent aux franges de l'étrange. Ce petit livre complète avec bonheur la découverte de l'oeuvre de la grande romancière néerlandaise.

Hella S. Haasse, écrivain hollandais né à Jakarta en 1918, est avant tout connue pour ses romans. Les plus hautes distinctions littéraires néerlandaises ou étrangères ont d’ailleurs récompensé l'ensemble de son oeuvre. C’est néanmoins par l’entremise de ses nouvelles écrites entre 1948 et 2006 et présentées par ordre chronologique dans ce présent recueil que j’ai découvert cet auteur. Pour ceux qui la connaissent bien, il semblerait que ces nouvelles brassent les thèmes de prédilection de la dame : la moiteur et les senteurs de l’Indonésie hollandaise évoquant son passé colonial en passant par les secrets de famille et les réminiscences du passé, le tout teinté  d'une tonalité douce amère pouvant nous mener à la lisière du fantastique.

Comme l’écriture s’étale sur plus de cinquante ans, nous pouvons suivre en quelque sorte l’évolution de l’écriture de Hella S. Haasse au fil du temps: de récits structurés et bien construits, ne laissant que peu d’espace à notre imaginaire quant à l’interprétation du contenu, nous passons au fur et à mesure aux récits plus évaporés, plus courts et fleurtant de plus en plus du côté de l’imaginaire et de l’irréel, laissant de ce fait la part belle à l’inexplicable et l’étrange. Le hic est que j’ai justement de moins en moins apprécié les nouvelles au fur et à mesure de ma lecture, qui je le rappelle sont publiées dans l’ordre chronologique de leur écriture. Est-ce à dire que je préfèrerais ses premiers romans aux plus récents ? A vérifier. Quoi qu’il en soit, j’ai apprécié la finesse de son écriture et les thèmes développés, je vais donc très prochainement faire le grand saut et aborder un de ses nombreux romans. A ce propos, si vous connaissez bien l’auteur, n’hésitez surtout pas à me conseiller l’un ou l’autre de ses romans pour me guider dans mon prochain choix !


mardi 12 mai 2009

Enquête dans le brouillard d'Elizabeth George

Quatrième de couverture

Le sergent Barbara Havers est résolument laide et revêche et bien décidée à le rester. Elle adore son boulot mais l'idée de faire équipe avec l'inspecteur Lynley, un ancien d'Eton, pur produit de l'aristocratie britannique, lui est insupportable. Un type qui prétend travailler à Scotland Yard pour se rendre utile à la société, au lieu de vivre sur ses terres ! Un type pourri de charme et avec qui aucune femme n'est en sécurité. Sauf la pauvre Barbara évidemment... Mais les querelles de ce couple inattendu cessent vite devant l'atrocité d'un crime qu'ils sont chargés d'élucider. Dans un paisible village d’Yorkshire, on a trouvé le corps sans tête de William Teys, paroissien modèle. A côté du cadavre, une hache et, près de la hache, une grosse fille qui gémit : "C'est moi qui ai fait ça et je ne le regrette pas." L'épouvante ne fait que commencer.

Elizabeth George est une auteure américaine qui excelle dans l'écriture de romans policiers "à l'anglaise". Les enquêtes sont menées par un couple de policiers du Scotland Yard, la célèbre police métropolitaine de Londres. Il se fait que ces deux policiers sont plutôt aux antipodes l’un de l’autre : l’inspecteur Thomas Lynley, huitième comte d’Asherton, élégant, riche, tombeur, cultivé et plein de compassion pour autrui, et le sergent Barbara Havers, femme frustre, mal fagotée, plutôt laide, issue d'une banlieue crasseuse de Londres et qui déteste par-dessus tout l’aristocratie britannique. Un couple improbable aux origines sociales et aux préoccupations quotidiennes diamétralement opposées qui devront apprendre à dépasser leurs différences pour résoudre les affaires criminelles. Notez également qu’Elizabeth George se distingue des auteurs de polars par l’importance qu’elle accorde à la psychologie des personnages, son DEA obtenu en psychopédagogie ne devant pas être étranger à sa finesse d’analyse des comportements humains. De ce fait, la description minutieuse des actes et des situations qui précéderont le crime lève le voile le plus souvent – mais pas toujours - sur un meurtrier profondément humain pour qui nous pouvons éprouver une certaine compassion.

J’ai découvert Elizabeth George il y a maintenant quelques années. J’ai très vite accroché à son style : importance de la psychologie des personnages, ambiance très british, roman touffu qui prend le temps de disséquer les faits sans oublier l’intérêt porté au couple de policiers qui sont des personnages à part entière dans la mesure où nous suivons leur évolution au fil des romans. Ce que j’apprécie également dans ses romans est le fait que l’auteure effectue un travail de recherche et de documentation impressionnant avant d’explorer de fond en comble une problématique individuelle ou un fait de société, donnant par la même une grande crédibilité à ses enquêtes. Petit bémol toutefois : l’auteure n’évite pas toujours certaines longueurs, il vaut mieux donc avoir du temps devant soi avant de se plonger dans un de ses romans, raison pour laquelle je les lis souvent en période de congé.

Je n’ai malheureusement pas commencé la série dans l’ordre de parution, dans la mesure où cela n’était pas vraiment indispensable pour suivre le déroulement de chaque nouvelle enquête mais je le regrette un peu car j’ai parfois manqué de repères pour bien comprendre l’évolution des personnages, que ce soit au niveau de leur vie privée qu’au niveau professionnel. Je vous conseille donc de ne pas faire comme moi et de suivre si possible l’ordre de parution des romans (17 romans déjà parus à ce jour).

Quant à moi, j’en suis à mon cinquième roman lu de l’auteure, qui est également le premier de la série. J’ai envie de dire que la lecture de ce premier roman, « Enquête dans le brouillard », est essentielle dans la mesure où c’est dans ce roman qu’Elizabeth George campe ses personnages principaux et que nous percevons à quel point la différence des classes sociales peut être génératrice de dissensions. Quant à l’intrigue, elle n’est pas vraiment représentative des enquêtes habituelles, qui seront plus fouillées et mieux documentées par la suite. Mais je n’ai pas du tout boudé mon plaisir, que du contraire, j’ai passé un très bon moment de lecture en compagnie de l’inspecteur Thomas Lynley et du sergent Barbara Havers, une fois de plus ! 


lundi 11 mai 2009

Dans ma maison sous terre de Chloé Delaume

« Parfois je pense aux gens normaux et je les envie tellement fort que mon cœur n’est plus qu’une bouillie. » 
 « Je suis la plaie de ma famille. Je refuse de cicatriser. » 
Dans ma maison sous terre porte avant tout sur notre rapport à la mort, le secret de famille servant de toile de fond. Peut-on tuer avec des mots ? Chloé aimerait beaucoup pouvoir écrire un livre qui pourrait tuer sa grand-mère, une femme qui lui a révélé par une tierce personne un terrible secret de famille, un secret qui la dévaste depuis lors.

« J’écris pour que tu meurs. Puisque tu es vivante, encore tellement vivante que c’en est indécent. Ce qu’il faut à présent c’est que tu lises ces lignes et qu’enfin tu crèves (…) ». Lorsque l’histoire familiale mène à la perte d’identité, au chaos et la confusion : « Il m’appelait l’enfant, il ne voulait pas d’une fille, il ne voulait pas de moi, mais je n’étais pas de lui.» 

C’est dans un cimetière que Chloé va essayer de se reconstruire. Aux côtés de Théophile, Chloé va visiter les tombes, et entendre les morts un à un se confier. Chacun a son histoire, sa musique, sa chanson. Et sa leçon, peut-être. Qui pourrait être utile à la reconstruction de ce Moi saccagé ?

Chloé Delaume nous parle de ce qu’elle connaît le mieux, à savoir de ses douleurs et de ses manques.

« Vécu mis en fonction, mais jamais inventé. Pas par souci de précision, pas par manque d’imagination. Pour que la langue soit celle des vrais battements de cœur. » 

L’écriture originale et talentueuse d’une auteure qui aime nous surprendre : au détour d’une plume poétique, parfois crue, souvent singulière, voilà une auteure qui ne peut vous laisser indifférent. Une très agréable découverte !

vendredi 1 mai 2009

Amours défendues d'Alissa York

Je vous avais dit tout le bien que je pensais d’ Effigie, deuxième roman d’Alissa York.  J’avais d’emblée annoncé, à la fin du billet, que j’allais sans nul doute lire son premier roman sans penser à ce moment là que cette lecture serait si proche dans le temps. Mais lorsque je suis tombée dessus par hasard dans une bouquinerie d’occasion, je n’ai pas hésité une seconde à l’acheter. Je pensais qu’il attendrait bien quelques mois dans ma PAL mais c’était sans compter le fait que j’allais lire les premières pages dans le métro, premières pages qui m’ont tout de suite ferrée au récit. Embarquée, je l’étais bel et bien. Et c’est donc très naturellement que j’ai poursuivi ma lecture, avec plus ou moins de bonheur. Mais avant d’aller plus loin dans le compte-rendu de mes impressions, je vais vous raconter l’histoire de ce premier roman d’Alissa York,  qui s’intitule très justement « Amours défendues ».
 
Thomas était arrivé dans la petite ville de Miséricorde de Manitoba dans l’intention d’ouvrir sa boucherie et son abattoir. Il savait mieux que personne qu’abattre les animaux était un métier en soi, et ce n’était pas ses clientes, pour lesquelles il réservait les meilleurs morceaux et prêtait toujours une oreille attentive à leur bavardage, qui le contrediraient.  Elles vous diraient même qu’elles étaient impressionnées par ses grandes mains étonnamment agiles pour leur taille. Il aurait d’ailleurs pu faire son choix dans le village, ce ne sont pas les occasions qui manquèrent mais Thomas n’avait d’yeux que pour Mathilda, la première personne à qui il avait parlé en arrivant à Miséricorde, tout gris de la poussière de la route et empestant le porc. 
 
Mathilda est la nièce de la gouvernante du curé, une jeune fille adoptée par sa tante qui la retira de l’orphelinat dans lequel l’avait placée son père volage et disparu depuis lors. Mathilda était trop jeune pour se marier à l’époque, raison pour laquelle Thomas attendit quatre longues années avant de la demander en mariage, le jour de ses dix-neuf ans. Une proposition que Mathilda ne put refuser, sur l’insistance de sa tante :
 
« Par pitié, Mathilda, souris. Tu t’attendais à un jardin de roses ?  A avoir le cœur qui palpite rien qu’en le regardant ?
[…] Tu es la nièce bâtarde de la bonne à tout faire de l’église, tu  n’as pas un sou à toi et tu n’es pas non plus d’une grande beauté, mais celui-là, celui-là est venu supplier d’avoir ta main. Elle poursuit, les dents serrées.  « Tu devrais rire.  Tu devrais te tenir les côtes devant tant de chance, alors fais au moins un sourire ! ».
 
Mais ce n’est pas facile pour Mathilda d’oublier le sang incrusté sous les ongles de Thomas, de ne pas sentir les effluves de cette odeur forte d’abats, d’oignons et de poivres mélangés qu’il pétrissait de ses mains puissantes pour confectionner les boudins noirs, une odeur qui s’incruste et qui persiste sans qu’il soit possible de s’en débarrasser  même si on se récure à fond.
 
Ce précaire équilibre se trouvera chamboulé le jour où le père de la paroisse décèdera, très rapidement remplacé par le jeune père August Day, un jeune homme qui connut l’enfance humiliée en étant le fils d’une prostituée.  August Day qui récite en latin les paraboles avec tellement de légèreté et d’emphase que Mathilda ne tarde pas à le regarder non comme un homme de Dieu mais comme un homme de chair et de sang. Entre les mains puissantes du boucher et le sang des beaufs qui coule à flots et les mains délicates du père Day qui offre le sang et le corps du Christ en communion en déposant l’hostie de ses doigts fins sur la bout de sa langue, Mathilda n’hésite pas à faire son choix en se rapprochant du père Day. Et si le lit marital reste froid, le confessionnal quant à lui s’enflamme de la passion dévastatrice de deux corps qui n’auraient jamais dû se rencontrer.  Le père Day résiste d’autant moins à Mathilda qu’elle sent la… saucisse, et que les saucisses avaient toujours été le plat préféré du  père Day, avant qu’il décide d’y renoncer définitivement tellement elles lui inspiraient un désir si puissant qu’il avait jugé préférable de s’en abstenir.
 
« Le boucher a dû en fabriquer un lot.  Il a l’impression qu’elle les porte en guirlande, tant l’odeur est forte. »
 
Mais le jour où Mathilda tombera enceinte du père Day, celui-ci n’hésitera pas à la rejeter avec rudesse…
 
Un demi-siècle plus tard, une nuit de juin 2003, un autre prêtre, Cari Mann, un veuf dont la fille de trois ans est autiste, arrive à Miséricorde. Il souhaite construire un édifice dans les marécages à la lisière de la ville. Mais ce projet va à l'encontre de la volonté de Mary, la fille de Mathilda, élevée dans la tourbière.
 
Quel roman plein de rages, de violences, de trahisons, de désespérances ! Que de ravages, de tourments, de tentations, de culpabilités ! Que de sang, de larmes et de souffrances ! Nous voilà bien dans un roman d’Alissa York : je retrouve tous ses thèmes de prédilection, qu’elle avait déjà développés dans son deuxième roman « Effigie ».  Le difficile rapport à la foi, les amours interdites, le tumulte des sensations et des passions dévastatrices, le poids du passé, l’enfance douloureuse, l’importance du corps et des organes, du sang et des viscères, même l’indien et le loup ne manquent pas à l’appel ! Il n’en demeure pas moins que ces thèmes seront traités différemment dans ces deux romans. Je mesure également la maturité qu’elle a développée entre son premier roman « Amours défendues » et son deuxième roman « Effigie », plus abouti et mieux mené.
Il n’en reste pas moins que la première partie d’ « Amours défendues » est de très bonne facture. J’ai nettement moins apprécié le deuxième volet qui se situe dans le temps cinquante ans plus tard.  Je ne comprends pas très bien ce que cette partie apporte de plus si ce n’est une note finale moins négative que celle qui aurait eu lieu si elle s’était contentée du premier volet.