jeudi 30 avril 2009

Mauvaise pente de Keith Ridgway

Grace Quinn ne supporte plus de vivre aux côtés de son mari violent et alcoolique, un homme qui n’hésite plus à la rouer de coups depuis qu’il a écrasé, il y a de cela des années,  une jeune femme qui se trouvait sur sa route un soir de beuverie. Un couple usé, détruit et rejeté depuis toujours par le village : « Tout le monde les connaissait, son mari et elle, mais personne ne les aimait. Elle, a priori, parce qu’elle venait d’Angleterre, lui à cause de ses manières. Cela n’avait pas beaucoup changé : on continuait de ne pas les aimer, lui à cause de ce qui c’était passé, elle parce qu’elle était sa femme. »

Aussi lorsque Grace croise son mari à l’endroit même de l’accident,  le lendemain d’une violente dispute, elle ne tarde guère à appuyer sur l’accélérateur afin de l’écraser à son tour. Tuer son mari, camoufler les traces de l’accident, quitter la compagne irlandaise afin de rejoindre son fils Martin à Dublin. Mais peut-on vraiment renouer les liens avec son fils lorsqu’on a tué son père ? D’autant plus que Grace a bien du mal à ne pas se confier à tous ceux qu’elle rencontre…

« Mauvaise pente » est le magnifique portrait tout en nuance d’une femme aux abois qui part à la découverte d’elle-même dans l’Irlande des années 90. Un beau roman emprunt de mélancolie, dans une Irlande pluvieuse et rétrograde qui refuse qu’une jeune fille, âgée de quatorze ans à peine et enceinte à la suite d’un viol, puisse quitter le pays afin de se faire avorter. Beaucoup de finesses, de subtilités et de nuances dans ce roman mélancolique où il est plus facile de trouver une épaule réconfortante et une oreille compatissante auprès d’étrangers qu’auprès de ses proches. Un roman où l’incommunicabilité et l’incompréhension se payeront au prix fort…

Premier roman de l’écrivain Keith Ridgway, « Mauvaise pente » a d’emblée trouvé un écho des plus favorables auprès de la critique anglo-saxonne. Reconnu également par ses pairs, dont Colum McCann et Colm Toibin, ce premier roman a aussi obtenu le prix Femina 2001 du roman étranger.

Je terminerai ce billet en vous confiant que j’ai été également très sensible à son écriture. Je n’ai donc pas du tout été surprise d’apprendre que Keith Ridgway était initialement connu en tant que poète avant de passer à la fiction. Un premier roman qui donne envie d’aller plus loin dans la découverte de cet auteur !

mardi 21 avril 2009

Les maîtres de Glenmarkie de Jean-Pierre Ohl

Quatrième de couverture

Qui sont vraiment les maîtres du manoir de Glenmarkie, cette bâtisse écossaise menaçant ruine, tout droit échappée d'un roman de Stevenson ? Et où est donc passé le trésor de leur ancêtre Thomas Lockhart, un écrivain extravagant mort de rire en 1660 ? Fascinée par le génie de Lockhart, intriguée par l'obscur manège de ses descendants, la jeune Mary Guthrie explore les entrailles du manoir et tâche d'ouvrir les trente-deux tiroirs d'un prodigieux meuble à secrets. Ehenezer Krook est lui aussi lié aux Lockhart. A Edimbourg, dans la librairie d'un vieil excentrique, il poursuit à l'intérieur de chaque livre l'image de son père disparu. Les tiroirs cèdent un à un sous les doigts de Mary. Les pages tournent inlassablement entre ceux d'Ehenezer. Mais où est la vérité ? Dans la crypte des Lockhart ? Au fond de Corryvreckan, ce tourbillon gigantesque où Krook faillit périr un jour ? Ou bien dans les livres ? Peuplé de silhouettes fantasques, de personnages assoiffés de littérature qui rôdent au bord de la folie, Les maîtres de Glenmarkie brasse les époques, les lieux, et s'enroule autour du lecteur comme un tourbillon de papier. Hommage facétieux aux grands romans d'aventures, il pose et résout une singulière équation : un livre + un livre = un homme. 

Roman aux accents gothiques, où l’aventure, l’humour, la folie, le burlesque et l’amour de la littérature se font la part belle, « Les maîtres de Glenmarkie » a tout ce qu’il faut pour divertir et se faire plaisir. Outre les nombreux chausse-trapes qui parsèment le récit, une chasse au trésor et une quête d’identité, ce roman a également la bonne idée de rendre hommage aux livres, aux libraires mais aussi aux grands écrivains classiques : Walter Scott, Stevenson, Dickens, Jack London ou George Orwell sont quelques-uns des auteurs qui s’invitent avec malice dans la trame du récit. L’auteur Jean-Pierre Ohl, qui est libraire près de Bordeaux, sait bien de quoi il parle et arrive à nous transmettre le bonheur de la lecture avec juste ce qu’il faut d’érudition pour être intéressant sans jamais être pédant. A ce talent de transmettre sa passion de lecteur en tant que libraire, l’auteur n’en oublie pas pour autant ses talents d’écrivain mis au service d’un roman d’aventure qui dépasse de loin le simple pastiche du genre. Évidemment, vous fermerez ce livre avec l’envie de découvrir ou revenir à ces auteurs incontournables. Merci Jean-Pierre Ohl, pour avoir transmis votre passion du livre mais aussi pour avoir écrit ce roman avec autant de plaisir que les lecteurs en ont pris à sa lecture :-)

lundi 13 avril 2009

Contes carnivores de Bernard Quiriny

Quatrième de couverture

Un botaniste amoureux de sa plante carnivore ; Un curé argentin qui a la faculté de se dédoubler dans différents corps ; Onze écrivains morts que vous n'avez jamais lus ; Une femme-orange qui se laisse littéralement boire par ses amants ; Une société d'esthètes fascinés par les marées noires ; Des Indiens d'Amazonie qu'aucun linguiste ne comprend ; Et l'extraordinaire Pierre Gould qui resurgit sans cesse en héros transformiste... Quatorze nouvelles fantastiques à l'Imagination débridée et au style ciselé, dans la grande tradition des labyrinthes borgésiens et du Passe-Muraille de Marcel Aymé. 

Teintés de surréalisme, de poésie, de fantaisie, d’humour noir et de fantastique, ces contes carnivores, à l’écriture soignée, se dévorent sans peine tant l’ensemble se révèle plein de malices et de subtilités. Amateurs de fantastique, ces contes insolites peuplés d’étrangetés et de bizarreries ne pourront que vous ravir comme je l’ai été à leur lecture. 

Un conseil : à déguster lentement pour mieux en savourer toute la finesse et parfois le mordant et la causticité qui s’en dégagent. Et ce n’est vraiment pas un hasard si on compare souvent Bernard Quiriny aux grands maîtres de la littérature fantastique, tels que Edgar Allan Poe, Jorge Luis Borges, Julio Cortázar ou encore le belge Thomas Owen. Il m’a d’ailleurs furieusement donné envie de revenir à ces auteurs que je n’ai plus lus depuis trop longtemps !

 

jeudi 9 avril 2009

L'homme qui marchait sur la Lune de Howard McCord

Quatrième de couverture
 
Qui est William Gasper, cet homme qui depuis cinq ans arpente inlassablement la Lune, une “montagne de nulle part” en plein cœur du Nevada ? De ce marcheur solitaire, nul ne sait rien. Est-il un ascète, un promeneur mystique, un fugitif ? Tandis qu’il poursuit son ascension, ponctuée de souvenirs réels ou imaginaires, son passé s’éclaire peu à peu : ancien tueur professionnel pour le compte de l’armée américaine, il s’est fait de nombreux ennemis. Parmi lesquels, peut-être, cet homme qui le suit sur la Lune ? Entre Gasper et son poursuivant s’engage alors un jeu du chat et de la souris. D’une tension narrative extrême jusqu’à sa fin inattendue, L'homme qui marchait sur la Lune est un roman étonnant et inclassable qui, depuis sa parution aux États-Unis, est devenu un authentique livre culte. 

On compare souvent Howard McCord à Cormac McCarthy. Ayant dévoré son roman « La route », je pensais tout naturellement que j’allais facilement me laisser séduire par Howard McCord. Et bien ce ne fut pas aussi simple que cela. Sachez qu’on peut apprécier l’un sans forcément succomber à l’autre. En tout cas, je ne me suis pas retrouvée dans les descriptions dithyrambiques de nombreux lecteurs et critiques littéraires. 

L’écriture est efficace mais cela ne m’a pas empêchée de rester en marge tout au long du récit, n’ayant jamais pu me projeter dans ce roman. Est-ce dû à l’extrême froideur de personnage principal William Gasper ? A l’âpreté des paysages ? Au mélange des genres (description de la nature, méditation, conte philosophique, mysticisme, onirisme, traque, survie en milieu hostile…) ? Je ne saurais dire si ce n’est que je me suis vite ennuyée en compagnie de cet homme solitaire et misanthrope - ancien tueur de l’armée américaine - qui arpente régulièrement une montagne perdue en plein cœur du Nevada, à l’abri du regard des hommes. 

Beaucoup de lecteurs y ont vu un hymne à la nature sauvage. Pourquoi pas, même si je préfère les romans de Jim Harrison dans ce cas de figure. Quant à l’écriture poétique, je préfère nettement la plume de John Burnside à celle de Howard McCord. 

Enfin bref, « L'homme qui marchait sur la Lune » n’a pas soulevé mon enthousiasme malgré ses qualités indéniables et son originalité… peut-être pas lu au bon moment ? Ou trop cérébral pour moi ? Je pense également que j’ai beaucoup de mal avec les héros insaisissables et complètement hermétiques à toute interprétation ou tentative de compréhension, du coup, je reste totalement en « dehors ». Mais cette explication ne me satisfait qu’à moitié : les nouvelles de Kafka par exemple me sont tout aussi impénétrables, ce qui ne m’empêche aucunement d’apprécier grandement ses récits ! Décidément, les raisons qui font que ce roman ne m’a pas enthousiasmé plus que cela restent aussi insondables que son protagoniste principal ! 


mercredi 8 avril 2009

Hiver Arctique d'Arnaldur Indridason

Le corps d'un petit garçon était couché dans la neige lorsque la voiture d'Erlendur est arrivée au pied de l'immeuble de banlieue, en cette fin d'après-midi glaciale de Reykjavik. II avait douze ans, rêvait de forêts, ses parents avaient divorcé et sa mère venait de Thaïlande, son grand frère avait du mal à accepter un pays aussi froid. Le commissaire Erlendur et son équipe n'ont aucun indice et vont explorer tous les préjugés qu'éveille la présence croissante d'émigrés dans une société fermée. Erlendur est pressé de voir cette enquête aboutir, il néglige ses autres affaires, bouscule cette femme qui pleure au téléphone et manque de philosophie lorsque ses enfants s'obstinent à exiger de lui des explications sur sa vie qu'il n'a aucune envie de donner. La résolution surprenante de ce crime ne sortira pas Erlendur de son pessimisme sur ses contemporains. Dans cet impressionnant dernier roman, Indridason surprend en nous plongeant dans un monde à la Simenon. Il a reçu pour ce livre et pour la troisième fois le prix Clé de Verre du roman noir scandinave. 

Cinquième enquête du commissaire Erlendur traduite en français, « Hiver Arctique » nous plonge dans une atmosphère froide et pesante, teintée de désespoir et de mélancolie. Intrigue moins sophistiquée que son précédent roman, « L’homme du lac », il n’en demeure pas moins de bonne facture. Pour les fans de polar intimiste, dans lequel le réalisme social et la psychologie des personnages prennent largement le pas sur l’action, Arnaldur Indridason lève une fois de plus le voile sur l’absurdité des hommes et le malaise de notre civilisation. J'aime beaucoup, comme toujours, et j'attends la traduction de son prochain roman avec impatience !

lundi 6 avril 2009

Contes et Récits de Nathaniel Hawthorne

C’est la lecture du roman « Le voile noir » de Rick Moody  qui m’a menée irrésistiblement  vers l’auteur Nathaniel Hawthorne : tout le récit de Rick Moody  s’articule effectivement autour de son conte « Le voile noir du pasteur ». Ce conte relate l’histoire d’un pasteur qui, du jour au lendemain, couvrit son visage d’un voile noir jusqu’au jour de son trépas, et ce afin d’expier ses fautes passées. L’analyse du poids de cette culpabilité morbide mais aussi les réactions d’effroi et de peur de la communauté à la vue de ce voile noir font de ce conte une petite merveille que je vous encourage vivement de découvrir à votre tour.  Il se trouve que l’homme qui inspira ce conte à Nathaniel Hawthorne n’était autre que Joseph Moody, que Rick Moody pense être son ancêtre suite aux confidences de son grand-père paternel. Je me suis déjà longuement attardée sur les difficultés que j’ai éprouvées à la lecture du récit de Rick Moody, mais je ne saurais jamais trop le remercier d’avoir attisé ma curiosité quant à cet excellent auteur qu’est Nathaniel Hawthorne ! « Le voile noir du pasteur » faisant partie d’un recueil intitulé tout simplement « Contes et récits », c’est tout naturellement vers celui-ci que mon choix s’est porté pour aller à sa rencontre.
 
Nathaniel Hawthorne, né en 1804 à Salem et décédé en 1864 à Plymouth, est le père fondateur de la littérature nord-américaine. C’est effectivement à la publication de « La lettre écarlate » que l’Amérique  assiste à la naissance d’une nouvelle forme de littérature,  qui n’est plus une simple excroissance coloniale de la littérature anglaise mais une littérature nord-américaine distincte, puisant sa source et son inspiration dans sa propre histoire.
 
Le recueil de ses « Contes et récits », qui précède la publication de son illustre roman «  La lettre écarlate »,  marque le début de cette mutation. Nathaniel Hawthorne puise effectivement son inspiration dans l'histoire de la Nouvelle-Angleterre en remontant deux siècles plus tôt, à savoir l’époque des premiers puritains installés à Salem, qui ont fuit l’Angleterre dans laquelle ils n’étaient plus les bienvenus pour devenir ce qu’ils ignorent encore, à savoir les pères fondateurs d’une future nation indépendante.
 
Revenir aux origines de l’Amérique, c’était également revenir aux sources de sa propre histoire puisque Nathaniel Hawthorne comptait, parmi les premiers pèlerins et leur descendance directe,  deux ancêtres illustres qui participèrent activement - en tant que pasteur puritain et juge - aux guerres punitives indiennes et au jugement lors du procès des “sorcières” de Salem. Nathaniel Hawthorne n’oublie pas qu’il est aussi le fils de cette Amérique là : une Amérique qui, pour parvenir à son indépendance, n’a pas hésité à faire preuve de bravoure et de courage, mais aussi de violence et d’oppression, à l’image des puritains de l’époque qui firent preuve d’intolérance et d’extrémisme.
 
Est-ce pour expier la faute de ses ancêtres que Nathaniel Hawthorne, hanté par la culpabilité et la dépravation héréditaire de l’âme, revient sur les différentes étapes qui jalonneront la naissance de ce nouveau monde sans en omettre les épisodes les moins glorieux ? Qu’importe les raisons initiales, il n’en reste pas moins que ces récits sont de véritables petits bijoux d’intelligence, de finesse et de justesse : Nathaniel Hawthorne revient sur les premiers balbutiements d’une nation sous forme de contes, de paraboles et d'allégories morales en n’omettant aucun épisode cruciaux de l’histoire de la Nouvelle-Angleterre, que ce soit la vie rude des premiers pèlerins à l’intransigeance des puritains en passant par les guerres d’indépendances, les attaques punitives contre les indiens,  la persécution des Quakers ou la chasse aux sorcières. 
 
L’édition de ce recueil a eu la très bonne idée de présenter ces contes dans l’ordre chronologique de l’histoire de la Nouvelle-Angleterre qu’ils déploient, afin d’assurer une totale cohérence dans l’enchainement des récits. Je vous conseille d’ailleurs vivement cette édition, car non seulement l’excellente préface de Pierre-Yves Pétillon, portant sur la biographie de Nathaniel Hawthorne et les débuts de la littérature nord-américaine, est des plus intéressantes  mais la postface en fin du recueil ne l’est pas moins ! Nous y trouvons plusieurs pages explicatives du contexte historique de l’époque des récits, qui complètent parfaitement les écrits de  Nathaniel Hawthorne dans la mesure où elles apportent une compréhension et un éclairage supplémentaires des plus bienvenus.
 
Ces contes faisant référence à l’histoire de la Nouvelle-Angleterre ne constituent pas la totalité des contes et récits : nous y retrouvons d’autres contes imaginaires très riches en fantaisies et analyses psychologiques, sans oublier deux récits autobiographiques qui n’ont rien à envier aux contes imaginaires du recueil.
 
J’ai passé d’excellents moments de lecture en compagnie de ces « Contes et récits » de Nathaniel Hawthorne, raison pour laquelle je le mets sans hésitation dans la catégorie « mes coups de cœur littéraire ».  Et je n’ai qu’une seule hâte, à savoir me replonger dans son univers en découvrant son  œuvre majeure, « La lette écarlate », qui connut un grand succès dès sa publication.