lundi 2 octobre 2017

Un artiste du monde flottant de Kazuo Ishiguro

Quatrième de couverture

"Gisaburo, dit-il, après un long silence, n'a pas eu la vie drôle. Son talent a complètement périclité. Ceux qu'il aimait sont morts depuis longtemps ou l'ont abandonné. Même du temps de notre jeunesse, c'était déjà un type triste, solitaire." Morisan marqua une pause. "Mais parfois, nous buvions et nous nous amusions avec les femmes des quartiers de plaisir. C'est ce que les gens appellent le monde flottant : c'était un monde, Ono, dont Gisaburo connaissait toute la valeur." 

Le peintre Masugi Ono, vieux maître de l'art officiel nippon, songe à sa jeunesse bohème et se remémore ce " monde flottant " qu'il a tant fréquenté. Confronté à l'émergence d'une nouvelle société ouverte à l'Occident, il interroge son passé et tente de donner un sens à sa vie dans le Japon de l'après-guerre. Évocation d'une vie et d'un monde révolus, réflexion toute en nuances sur la finalité de l'œuvre d'art, Un artiste du monde flottant est un livre envoûtant.


Mon avis

Admirer les écrivains de la Mitteleuropa constitue, selon moi, un bon présage quant à l'appréciation des romans de Kazuo Ishiguro, tant ce dernier excelle dans la restitution de moment charnière entre deux époques, l'une finissante et l'autre en pleine gestation. En approfondissant sans cesse les mêmes thématiques, qu'on pourrait vaguement résumer au déclin d'un monde et au passage à un autre, au désenchantement, à l'inquiétude et à la solitude que cela génère chez ses personnages vieillissants, aux nombreux retours vers le passé et autres souvenirs, certains joyeux, nostalgiques, d'autres plus mélancoliques, peuplés de fantômes, de pensées flottantes, de regrets et de remords, suscitant à la fois un regard interrogatif mais aussi sans complaisance aucune mais au contraire plus acéré et affûté que jamais, ce qui va souvent de paire avec un sentiment de culpabilité de la part des figures tutélaires, bref quand sonne l'heure des bilans lorsqu'une grande partie de sa vie se conjugue dorénavant au passé et que la vie devant soi se rétrécit de jour en jour.

Car l'homme, voué à la mort dès sa naissance et jeté dans l'existence avec comme seule certitude la perte, l'absence et le manque, ne peut que s'interroger sur comment trouver sa place dans ce monde sans cesse en mouvement alors qu'il est condamné à y vivre dans et pour un temps déterminé. Kazuo Ishiguro ne cesse au fond de poser, de roman en roman, la question de l'être et de son être-au-monde en pleine conscience de sa propre finitude, et à défaut de nous donner des réponses, il prête à ses personnages la sagesse de se poser les bonnes questions. Car si nous sommes tous des naufragés, la possibilité de rechercher une certaine sérénité et d'y parvenir peut aussi nous consoler. 

Comme toujours, l'auteur traite ses thèmes de prédilection avec finesse et élégance, abordant les peurs et les angoisses par petites touches impressionnistes d'une grande douceur et d'une belle simplicité en apparence, bien que composées de nombreux silences, ellipses et autres non-dits, enveloppant son lecteur dans une atmosphère mélancolique cotonneuse. J'ai d'ailleurs toujours des difficultés quant à conseiller cet auteur, tant j'ai conscience que certains n'y trouveront pas leur compte, le trouvant peut-être trop lent, trop vagabond dans ses pensées et difficilement appréhendable pour les occidentaux, qui peuvent être déroutés par cette résignation tranquille menant à la sérénité, et qui est pourtant d'une grande force à mon sens tant elle est difficile à atteindre. 

Voilà, je pense avoir lu tous les romans de Kazuo Ishiguro à ce jour, à l'exception de L'inconsolé, son roman le plus volumineux mais sans doute également le moins abordable jusqu'à présent. Mais je me sens prête, tant j'ai le sentiment que certains romans demandent une préparation, ou du moins une bonne connaissance préalable de l'auteur pour l'apprécier à sa juste valeur.

A propos de Kazuo Ishiguro, vous trouverez également sur ce blog :

Lumière pâle sur les collines de Kazuo Ishiguro
* Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro


8 commentaires:

  1. Ah tu donnes sacrément envie, un de mes auteurs favoris en particulier Auprès de moi toujours et Les vestiges du jour. Le seul que j'avais un peu moins apprécié était Quand nous étions orphelin mais celui-ci est très tentant je sens bien cette capture d'un lieu et d'une période ainsi que ce spleen si prenant chez lui...

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    1. Ah tu me fais plaisir en m'apprenant que tu aimes cet auteur ! J'ai aussi éprouvé des difficultés à la lecture de son roman Quand nous étions orphelins, mais c'était aussi mon premier roman lu de l'auteur, et je ne m'attendais pas du tout à cela. Puis je l'ai lu il y a très longtemps maintenant, bref je me suis toujours promis de le relire un jour ou l'autre. Je te conseille aussi Le géant enfoui (son petit dernier) et Lumière pâle sur les collines (son tout premier roman).

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  2. Tu sais que je suis comme toi passionné par beaucoup d'auteurs Mitteleuropa. J'ai découvert Ishiguro, comme beaucoup, par le film Les vestiges du jour, opposition aussi de deux mondes. J'ai lu Quand nous étions orphelins que j'ai bien aimé, Auprès de moi toujours mais cette histoire de clones m'a un peu déçu. L'an dernier Le géant enfoui ne m'a pas du tout intéressé.
    P.S.Berlin est vraiment une ville à voir et revoir. Aucune capitale européeenne n'a connu un tel destin. Merci de ton passage et d'ores et déjà bon voyage même si c'est loin. Penser au voyage est déjà voyager.

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    1. En effet, nous partageons, entre autres, cet amour pour les écrivains de la Mitteleuropa :-) Je me souviens bien à quel point tu étais passé à côté de ce géant enfoui, qui m'avait tout autant enthousiasmé que ses autres romans. Je crois aussi qu'il faut bien choisir son moment pour lire Kazuo Ishiguro, être dans "le bon état d'esprit" pour l'aborder et le laisser venir à soi.

      Berlin est une ville que j'ai envie de visiter depuis longtemps. Pour son histoire aussi, bien évidemment. Je planifierai bien une petite année allemande d'ailleurs, du côté de la littérature, cinéma, peinture, visites diverses. C'est en tout cas dans mes projets dans les années qui viennent ;-)

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  3. Hello Sentinelle... et merci de ton passage chez moi, très remarqué !

    Je n'ai pour l'instant lu que "Le géant enfoui", un roman qui m'a demandé bien des efforts, mais que j'ai été très heureux d'avoir lu jusqu'au bout. Je ne sais pas si j'ai très envie de me replonger tout de suite dans un Ishiguro. Je crois que, s'il fallait en choisir un autre pour continuer, je choisirais "Auprès de toi toujours", puisque j'en ai vu l'adaptation au cinéma.

    Quels auteurs de la Mitteleuropa pourraient-ils servir de références "comparables", à tes yeux ?

    Bonne soirée :-)

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    1. Hello Martin,

      Avec plaisir, cher ami ! Auprès de moi toujours est, selon moi, son roman le plus facile à lire, alors oui, je te le conseille bien volontiers, même si l'effet de surprise n'y sera plus, puisque tu as déjà vu le film.

      On ne peut pas vraiment comparer les écrivains de la Mitteleuropa à Kazuo Ishiguro, si ce n'est que les sujets principaux de ses romans sont souvent en lien avec la fin d'une époque. Je te conseillerai en premier Leo Perutz, ensuite Sándor Márai, Soma Morgenstern, Stefan Zweig, Kafka (ils sont tous chroniqués sur ce blog). Et il y en a encore bien d'autres. Je vais lire prochainement Gregor von Rezzori (Mémoires d'un antisémite). Bref, tu as un choix très vaste, et chacun à sa patte particulière.

      Bonne soirée à toi également, et à bientôt !

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    2. J'ai lu et chroniqué Mémoires d'un antisémite et deux autres livres de Von Rezzori, très intéressants.

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    3. Je suis passée par chez toi pour te lire. Tu m'encourages à le lire, hop, je le mets tout en haut de ma PAL.

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