dimanche 31 mai 2015

Vide-grenier de Patrick Mcguinness

Quatrième de couverture :

Fils de diplomate qui a beaucoup voyagé à travers le monde, enseignant à Oxford, Patrick McGuinness a un lieu de mémoire secret. C’est la ville de Bouillon, en Belgique, où se trouve la maison de sa grand-mère. Il y est allé enfant, il n’a cessé d’y revenir, il y retourne à son tour avec ses propres enfants. Bouillon, si proche de Charleville, où Rimbaud a vu le jour, de Sedan, où l’armée française a été défaite par les troupes prussiennes en 1870. Bouillon, ville de deux mille habitants qui a jadis été au cœur de l’Europe et a vu naître le chef du parti collaborationniste belge pendant la Deuxième Guerre mondiale. Bouillon avec son pittoresque de murs où d’antiques « réclames » vantent la Mandarine Napoléon, Bouillon où se parlent deux langues, la flamande et wallonne (« en Belgique, même les moines trappistes doivent choisir dans quelle langue se taire »), bouillon de culture et de rêverie. C’est dans ce grenier de sa mémoire que se nourrit l’imagination de l’écrivain.

Citations :

[p. 72] On venait voir Lucie de toute la région avec des photos de robes et de manteaux découpées dans les magazines de mode, et elle les réalisait. J’étais fasciné par la disproportion entre le travail et sa valeur : comment le labeur d’un être humain pouvait-il coûter moins cher que celui d’une usine ? L’ironie, c’était que les personnes qui s’enrichissaient et congédiaient des ouvriers parce que les machines pouvaient exécuter les tâches à leur place étaient celles-là mêmes qui, quand il s’agissait de leurs propres affaires, préféraient le fait main. Le pensais-je alors ? Certainement pas, mais aujourd’hui je me rends compte que je le savais avant de l’avoir pensé. 

@Patrick Mcguinness

[p. 73] Toutes ces choses ont disparu, et les gens aussi, mais les odeurs sont toujours là. Tout est là qui continue, dans la doublure secrète du temps.

@Patrick Mcguinness

[p. 163-164] Un jour, au début des années 1990, j’arrivai à Bruxelles avec un sac plein de cadeaux de Noël. Comme j’avais oublié Lucie, je m’arrêtais dans une galerie commerciale et lui achetai un cadre. Elle aimait la photographie et la maison en est remplie, certaines datant de plus d’un siècle. […] 

Celui que j’offris à Lucie était en noyer et présentait cet effet marbré en vaguelettes que l’on observe sur les marrons frais. Je n’y prêtai pas attention sur le moment, mais, à l’intérieur, il y avait un portrait, deux personnes saines et passe-partout, d’une beauté qui semblait avoir été imaginée par un panel de consommateurs. C’est ainsi que les cadres sont vendus : avec une photo standard – en général un coucher de soleil, un couple ou un chat – pour montrer qu’il fonctionne, et parce que ce serait sinistre d’avoir du vide au milieu. […] Je l’offris à Lucie qui l’admira et me remercia, décrétant qu’elle le garderait dans sa chambre. 

Je ne lui demandai pas ce qu’elle avait mis dedans et je n’entrai jamais chez elle, cependant, je mentirai si je prétendais ne pas avoir pensé que c’était un portrait de moi ou de ma sœur, ou de nous deux. A la mort de Lucie, lorsque je pénétrai dans sa chambre pour la débarrasser, je vis le cadre, en évidence et ciré, mais aussi la photo qu’elle n’avait jamais retirée. Pendant les sept ou huit dernières années de son existence, elle avait dormi avec, à côté de son lit, une image reproduite en série de deux parfaits inconnus. 

Je lui avais offert un cadre, mais elle avait reçu une photo. 


Mon avis :

Un très bon texte sensible et émouvant, d'une mémoire vivante qui se réinvente à chaque souvenir.  Une écriture pour soi mais aussi pour transmettre à ses deux enfants son enfance belge et plus particulièrement bouillonnaise. Pour mieux se rendre compte de ce que nous sommes vraiment. 


☆☆☆☆


Vide-grenier de Patrick Mcguinness, Editions Grasset, 08/04/2015, 272 pages. 

2 commentaires:

  1. Je t'ai répondu ailleurs, à un autre commentaire, que j'avais lu ce livre, c'est faux, il s'agit des Cents derniers jours, du même auteur. Le thème en est très différent, il s'agit d'un roman d'apprentissage dans la Roumanie de Ceaucescu. Je lui avais trouvé un ton, un style, frais et agréable.

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    1. J'avais bien lu ta réponse Kathel, et j'avais même recherché ton commentaire du roman de Patrick Mcguinness sur ton blog, mais je n'ai trouvé effectivement que celui sur la Roumanie de Ceaucescu. Vide-grenier est mon premier roman lu de l'auteur, sans doute attirée par le fait qu'il soit d'origine belge par sa mère et par la curiosité de connaître son regard sur notre pays, et plus particulièrement sur la petite ville de Bouillon, peu présente dans la littérature. J'ai été très charmée par sa plume, nostalgique, sensible mais aussi agréable et non dénuée d'humour. Maintenant que je le connais mieux, je lirai sans nul doute son roman sur le Roumanie de Ceaucescu. Et je te conseille celui-ci également, car il dépasse tout de même son cadre géographique et trouvera sans peine un écho à chacun d'entre-nous, d'origine belge ou non ;-)

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