samedi 3 janvier 2015

Timbuktu de Abderrahmane Sissako


Tombouctou, une ville au nord-ouest du Mali, tombe sous le joug des djihadistes en 2012. Ces extrémistes religieux imposent immédiatement un régime de terreur à la population : interdiction de fumer, de boire, de jouer au foot, d’écouter de la musique ou de porter de vêtements de couleurs vives, obligation pour les femmes de porter le voile ou encore de couvrir leurs mains, imposition de tribunaux improvisés. Les habitants se retrouvent impuissants et comme pris en otage alors qu’une famille de bergers touareg, vivant en dehors du village, se croit relativement à l’abri dans les dunes. Jusqu’au jour où le père de famille tue accidentellement le pêcheur Amadou, qui s'en était pris à sa vache préférée surnommée GPS…

Le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, indigné de l’indifférence des médias et du monde en général concernant les exactions des djihadistes sévissant dans les villages et les villes au cœur de l’Afrique, dénonce l’’intégrisme et l’obscurantisme en s’inspirant de plusieurs faits divers tels que la lapidation d’un couple non marié, la flagellation d’une femme ou l’exécution arbitraire d’un berger touareg.

Il met en scène l’occupation de la ville à travers une mise en scène poétique et symbolique où les scènes de violence sont abordées avec beaucoup de pudeur et de sobriété. Quelques très belles scènes ponctuent des séquences marquantes (comme la scène de foot sans ballon ou le plan large du cours d’eau lorsque le pêcheur Amadou essaye, dans une ultime tentative, de rejoindre la rive avant de décéder). Contrairement à ce que nous pourrions croire, l’humour n’est jamais absent et donne même lieu à une de mes scènes préférées, lorsque la seule femme libre (la folle du village) se permet de traiter de « connards » un groupe de djihadistes qui commentent avec passion un match de foot alors qu’ils interdisent par ailleurs aux habitants de la ville de le pratiquer.

Il nous présente également des djihadistes éloignés de tout manichéisme, en les ramenant à leur dimension humaine dans toutes leurs bêtises, ignorances, lâchetés, frustrations, naïvetés ou incompétences. Véritables bras cassés qui pourraient prêter à rire s’ils ne détenaient des armes qu’ils n’hésitent pas à utiliser contre la population pour instaurer un régime de terreur.

Un film engagé qui mérite toute notre attention même si je suis plus nuancée dans mon appréciation que l’avis très enthousiaste qu’il suscite en général, ayant trouvé le scénario un peu dispersé et décousu dans son ensemble, donnant parfois l’impression d’assister à un ensemble de vignettes plus ou moins biens élaborées ou agencées. Un film plein de bonnes intentions pour lequel je suis également restée relativement à distance tout le long et qui n'évite pas non plus quelques lenteurs. 

Mais ce ne sont que des détails par rapport à l’importance du sujet, à savoir l’évocation de la barbarie qui n’est que la conséquence d’un Islam pris en otage par des radicaux parlant en son nom, et qui occultent volontairement les notions essentielles que sont le partage, la tolérance, l’écoute et le respect dans la non-violence. Un film qui rappelle l’importance de se dresser contre chaque acte terroriste, quel qu’il soit. 

Les avis du cinéphile m'était conté, de Dasola et de Alex.


Réalisateur : Abderrahmane Sissako
Acteurs : Ibrahim Ahmed, Abel Jafri, Toulou Kiki, Fatoumata Diawara, Hichem Yacoubi
Origine : Mauritanie
Genre : Drame
Public : Tout public
Année de production : 2014
Date de sortie en Belgique : 17/12/2014
Durée: 1h37

11 commentaires:

  1. C'est justement ce qui t'a un peu gênée qui m'a plu : le fait de ne pas avoir une intrigue vraiment linéaire, mais un ensemble -en effet un peu décousu- de scénettes, chacune représentative à sa manière de l'impact de la présence des djihadistes dans ce village. Et puis j'ai aimé aussi la façon dont le réalisateur filme le trio père/mère/fille, que j'ai trouvé très lumineux..

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    1. Ce qui m’a un peu gênée est aussi le fait que certaines situations ne soient pas vraiment abouties ni exploitées totalement. Cela donne une bonne idée d’ensemble, effectivement, mais je pense que cela a contribué à ce sentiment de mise à distance, ne suivant finalement aucun personnage de bout en bout. Petites frustrations aussi parce que j’aurais sans doute bien aimé les accompagner plus longuement. Mais ce ne sont que des détails ;-)

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  2. traversay1/03/2015

    Bonjour Sentinelle. Cette narration est en effet différente de la majorité des films "occidentaux". Il y a un côté solaire dans les images du film qui s'opposent à l'obscurantisme des soldats de l'intégrisme. Et c'est aussi par l'absurde que le cinéaste choisit de combattre ces forces malfaisantes (des gants pour la poissonnière ? Bonne fin d'après-midi malgré le temps maussade.

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    1. Bonjour traversay,

      J'ai beaucoup apprécié ces petites touches d'humour, qui frôlent parfois le surréalisme.

      Une journée effectivement bien maussade, mais quand je peux me payer le luxe de ne pas bouger de chez moi pour lire et écouter de la musique tranquillement, je ne me plains pas ;-)

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  3. Je viens de le voir Senti, et je partage tout à fait ton avis! J'ai beaucoup aimé la poésie du film, les prises de vue (ces échappées au milieu des dunes, le match de foot, de toute beauté) la symbolique, en général (la scène d'ouverture, avec la chasse à la biche) et la manière d'aborder ce sujet en partant de cette famille de bergers. Mais comme toi, j'y ai trouvé quelques longueurs (le procès du berger qui a tendance à se répéter, d'autant qu'il y a des traducteurs ;-)

    Un film surprenant par son humour aussi cette façon d'interférer dans les moindres faits des villageois qui serait comique mais je ne me mettrais pas parmi mes favoris non plus. A voir ceci dit :-)

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    1. Hello H20, quel plaisir de te lire ici ! C'est une grande première et j'espère que ce ne sera pas la dernière non plus ;-)

      Je pense également que c'est vraiment un film à voir même s'il ne figurera pas non plus dans mes favoris, à cause de cette impression d'éparpillement, même si je comprends bien aussi sa fonction.

      A bientôt j'espère !

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    2. Oh j'ai posté sans finir ma phrase plus haut :-)

      Je disais cette façon de filmer le quotidien des villageois, qui serait presque comique si elle ne révélait pas l'absurdité et le non sens de cette application détournée du Coran.

      C'est toujours un plaisir de te lire, Sentinelle! Et je suis ravie de retrouver ta plume toujours pertinente et malicieuse! A très vite, ma copine :-D

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    3. A très bientôt H20 (c'est drôle de t'appeler comme cela) et au plaisir de te lire également. Bisous !!!

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  4. Hi hi, oui, c'est mon nom de code chez les Prétexteuses! J'en ai plusieurs, mais chut...Je suis incognito sur le net (Rires!)

    Je te bisoute aussi :-)

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  5. J'ai aussi des réserves même si beaucoup d'éléments du film me plaisent. Et en fait je suis à l'opposé de toi. J'aurais en fait préféré qu'il n'y ait pas d'intrigue du tout. Non que cette petite famille touareg disparaisse complètement, car il nous parle avec l'histoire malheureuse de GPS d'un conflit d'usage bien courant en Afrique, mais que Sissako n'en profite pas pour y étirer un suspense bien inutile et me semble-t-il très malvenue au regard du sujet traité.

    Tout le reste, toutes ces petites touches se référant à l'art comme la plus belle des résistances à la terreur, est davantage réussi.

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    1. Ce film, tellement important dans son message et ses intentions, est très difficilement critiquable, en tout cas en ce qui me concerne. Je suis mal à l'aise pour le faire dans la mesure où je ne peux pas le situer comme n'importe quelle autre fiction, il se place au-delà. D'un autre côté, je peux comprendre également qu'il n'ait pas reçu de prix au festival de Cannes, je ne crierai donc pas au scandale comme d'autres l'ont fait. Reste qu'il mérite d'être vu, pour tout ce qu'il nous dit.

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