vendredi 21 octobre 2011

Châteaux de la colère de Alessandro Baricco

Quatrième de couverture

Vers le milieu du XIXe siècle, dans la petite ville imaginaire de Quinnipak, vit toute une communauté rassemblée autour de la très belle Jun Reihl, dont toute la ville admire les lèvres, et de son mari monsieur Reihl, directeur de la fabrique de verre. À Quinnipak, chacun a son désir, sa « folie » secrète : Pekish, l'extravagant inventeur de l'« humanophone », un orchestre où chacun ne chante qu'une seule note, toujours la même; Pehnt, son jeune assistant, enfant trouvé toujours vêtu d'une veste immense et informe; la « veuve » Abegg, veuve d'un mari qu'elle n'a jamais épousé; Horeau, l'architecte français qui rêve de grandioses constructions transparentes, et Élisabeth, la locomotive à vapeur...

Avec "Châteaux de la colère", Baricco nous offre un roman foisonnant et singulier, construit comme une fugue où chacun chante sa partition avec justesse et jubilation.

J’aime bien les microcosmes peuplés de personnages fantasques et les récits aux allures de contes et je dois dire que les premiers chapitres ont été plus qu’enthousiasmants en début de lecture. Hélas, le roman s’essouffle dès le deuxième tiers et mon désintérêt n’a pris que plus d’ampleur au fil des pages. Châteaux de la colère se veut original, brillant et lyrique (et il l’est à certains moments) mais s’avère progressivement plus enquiquinant et laborieux qu’autre chose. Dommage car l’histoire avait du potentiel et l’on sent malgré tout qu’un auteur en devenir pointe à l’horizon, certains passages ne manquant décidément pas de panache. D’un autre côté, l’auteur semble s’être donné beaucoup de mal pour nous livrer un enseignement moral digne des meilleures paraboles. Le hic est que j’ai eu l’impression de ne pas avoir pu en saisir toute la portée tant la déconstruction du récit, l’artificialité du style et mon désintérêt grandissant n’ont pas aidé à l’appréhender. 

Un premier roman en demi-teintes donc, qui ne tient pas toutes ses promesses à force de sacrifier le contenu au profit du style. J’aime bien les chemins de traverse mais faut-il encore ne pas égarer le lecteur. Sans doute l’auteur a-t-il écrit beaucoup mieux depuis lors, je me souviens en tout cas de son roman Soie au style bien plus épuré et au contenu plus probant.

Prix Médicis étranger 1995.


vendredi 14 octobre 2011

Les madones d'Echo Park de Brando Skyhorse

Bienvenidos 
 
Nous sommes entrés dans ce pays comme des voleurs, sur cette terre qui fut nôtre. Ceux qui n'y étaient jamais venus ont enfin découvert la Terre promise dans la pénombre ; ceux qui en avaient été expulsés et y revenaient n'ont vu que l'ombre de cette promesse. Avant que le jour se lève sur ce désert exsangue qui s’étend des abysses les plus féroces du Pacifique aux crêtes silencieuses des sommets abrupts des monts San Gabriel, il règne un froid glacial, les frontières disparaissent, et, en moins de temps qu’il n’en faut pour claquer des doigts ou cligner de l’œil, nous courons, portés par le souffle gelé du matin jusque dans le feu des cuisines où nous préparons vos repas, valsant sur des kilomètres de carrelage pour nettoyer vos maisons, nous posant comme la rosée sur l’herbe hirsute pour tondre vos pelouses. Nous nous précipitons dans ce rêve américain, déterminés à nous défaire de tout ce que nous connaissons et aimons, qui nous encombrerait, en échange du moindre espoir de survie. C’est ainsi que nous apprenons à louvoyer. Je ne mesure pas la valeur de cette terre à ce que je possède mais à ce que j’ai perdu, parce que, plus on perd, plus on devient américain. […] 
 
Ce que je ne pensais pas pouvoir perdre était ma place dans ce pays. Comment perdre ce qui ne nous a jamais appartenu ? 

 
Waouh si ça ce n’est pas un début qui en jette ! Et si la suite n’est pas tout à fait du même tonneau, il n’en reste pas moins que Les madones d’Echo Park [The Madonnas of Echo Park] est un premier roman plutôt réussi.
Echo Park est un quartier de la ville de Los Angeles à majorité mexicaine, même s’il connait depuis quelques années une gentrification progressive. Les madones d’Echo Park est l’histoire de ce quartier à travers trois générations d’immigrés mexicains qui s’entremêlent, se croisent, s’entrechoquent, se cachent ou s’évitent dans ce roman choral où chaque protagoniste prend la parole le temps d’un chapitre.
Roman sur la communauté latino en mal d’identité mais surtout roman sur le rêve américain, avec ces espoirs, ces illusions mais aussi ces égarements et ces désenchantements ; celui des femmes de ménages, des membres de gangs et des petites filles qui s’identifient à Madonna, icône de la réussite sous ses appâts latino à l’époque de ses premiers clips passant en boucle sur MTV. Un bémol tout de même : si on distingue sans mal les différents protagonistes du récit, Brando Skyhorse n’a pas su leur donner un grain de voix propre à chacun d’eux.

Un bon premier roman dans son ensemble, et un auteur prometteur à suivre de près !

Quelques mots sur l'auteur :

Brando Skyhorse est un jeune romancier américain. La préoccupation identitaire occupera sans nulle doute une place de choix dans son œuvre tant l’histoire personnelle de l’auteur y contribuera : fils d’un mexicain qui l’abandonnera à l’âge de trois ans, Brando grandira dans l’ignorance de ses origines et sera adopté par son beau-père, un indien impliqué dans les mouvements de revendications pour les droits des Amérindiens aux Etats-Unis. La découverte de ses véritables origines mexicaines jettera un trouble identitaire, tant il vaut mieux socialement se réclamer de la nation indienne que mexicaine en Amérique. Une histoire troublante qui nourrira certainement son prochain livre autobiographique Things my fathers taught me.


mardi 11 octobre 2011

D’acier de Silvia Avallone

Quatrième de couverture

Il y a la Méditerranée, la lumière, l'île d'Elbe au loin. Mais ce n'est pas un lieu de vacances. C'est une terre sur laquelle ont poussé brutalement les usines et les barres de béton. Depuis les balcons uniformes, on a vue sur la mer, sur les jeux des enfants qui ont fait de la plage leur cour de récréation. La plage, une scène idéale pour la jeunesse de Piombino. Entre drague et petites combines, les garçons se rêvent en chefs de bandes, les filles en starlettes de la télévision. De quoi oublier les conditions de travail à l'aciérie, les mères accablées, les pères démissionnaires, le délitement environnant... Anna et Francesca, bientôt quatorze ans, sont les souveraines de ce royaume cabossé. Ensemble, elles jouent de leur éclatante beauté, rêvent d'évasion et parient sur une amitié inconditionnelle pour s'emparer de l'avenir.

Ce premier roman d’une jeune auteure de 25 ans à peine connait un joli succès : en tête des ventes en Italie, traduit dans de nombreux pays et récompensé par plusieurs prix littéraires (dont celui de prix des lecteurs de L'Express 2011), il est déjà en cours d’adaptation au cinéma. Pas étonnant tant il se lit d’une traite mais surtout possède une voix qui porte et sonne vrai. Milieu ouvrier désœuvré et désenchanté, ville industrielle déclinante, pères démissionnaires, mères anesthésiées, le passage de l’enfance à l’adolescence, le corps qui se métamorphose, les premiers amours, l’amitié et ses blessures, les échappatoires minables d’une vie minable, la beauté insolente de la jeunesse, tout sonne tellement juste qu’on ne doute pas une seconde que Silvia Avallone sait de quoi elle parle. Un léger bémol sur la fin mais on lui pardonne bien volontiers tant le roman tient bien la route jusque là. Un roman social et percutant comme je les aime, je vous dis à bientôt Madame Silvia Avallone !


jeudi 6 octobre 2011

Muse de Joseph O'Connor

Quatrième de couverture

Elle était pauvre, irrévérencieuse, sensuelle, très belle et rebelle à toute autorité, sauf à celle du génie et de l'amour. Elle s'appelait Molly Allgood, elle fut une comédienne aussi prometteuse que courtisée, et eut pour amant l'un des plus grands dramaturges irlandais, John Millington Synge. C'était en 1907, l'année de la création du Baladin du monde occidental au théâtre de l'Abbaye, dans un Dublin bruissant de rumeurs. Molly avait dix-neuf ans, John trente-sept. Il fut son Pygmalion, elle sa muse. Leur passion aurait-elle pu résister au poids des conventions et à l'hostilité de leurs proches ? À Londres, près de cinquante ans plus tard, l'actrice déchue hante les rues noyées dans le brouillard. Peu à peu, les souvenirs resurgissent, comme le désir pour celui qu'elle n'a jamais réussi à oublier...

Ce roman au début prometteur et porté par une belle écriture s’enlise malheureusement progressivement, sa chronologie déroutante n'aidant pas vraiment à s'accrocher. Et c'est avec un léger sentiment de délivrance que j'ai tourné les dernières pages du récit. Pas vraiment mauvais mais pas non plus le meilleur roman de l'auteur, loin s'en faut, même s'il distille de temps à autre un charme volatile et indéfinissable, la patte de Joseph O'Connor sans doute.

Plus qu’une biographie romancée, il s’agit surtout ici de la déchéance d’une femme jolie mais "mal-née", du poids des conventions sociales et de l'héritage familial quel que soit l'amour porté à l'autre. Que son partenaire ait été John Millington Synge n'a pas vraiment eu de signification particulière pour moi, si ce n'est qu'il introduit l'univers du théâtre et de l'écriture. Pour le reste, il semble toujours dans l'ombre, en retrait, distant et finalement inatteignable, il glisse entre les doigts cet homme-là.




L'extrait d'une pièce écrite par Molly (lorsque deux univers, l'un bourgeois et l'autre rural, se rencontrent autour d'une table) est par ailleurs un petit bijou de drôlerie.  Mais cela ne suffit pas à sauver ce roman dans l'ensemble assez maussade. Les couleurs dominantes sont du côté de l'amer, de la mélancolie, de la déchéance et des désillusions de la vie. Un roman triste finalement.
 


dimanche 2 octobre 2011

Le voyage de l’éléphant de José Saramago

Quatrième de couverture

Salomon, le magnifique éléphant d'Asie, vit depuis deux ans à Belém. Le roi Joao III décide de l'offrir à l'archiduc Maximilien d'Autriche. De Lisbonne à Vienne, en passant par les plateaux de la Castille, la Méditerranée, Gênes et la route des Alpes, Salomon traverse ainsi l'Europe, au gré des caprices royaux et des querelles militaires, soulevant sur son passage l'enthousiasme des villageois émerveillés.

Je connaissais déjà l’écriture particulière de José Saramago après avoir lu Les intermittences de la mort. Et curieusement, autant je m’y étais rapidement habituée à ma première lecture, autant j’ai peiné à celle-ci. Marre de faire des efforts pour suivre le récit, marre de revenir en arrière après m’être rendue compte que j’avais lu à vide les phrases qui semblaient n'en plus finir. Le voyage me semblait long et fastidieux, d’où mon abandon. Puis ce sentiment d’artifices dans l’écriture me gênait de plus en plus. Mais je reviendrais tout de même vers lui, histoire de trancher définitivement la question, à savoir j’aime ou je n’aime pas cet auteur. Reste l’ironie, l’impertinence et l’érudition joyeuse de José Saramago. Mais comme tout me semblait si dense, si condensé et si étouffant à la longue.