lundi 18 avril 2011

Des adhésifs dans le monde moderne de Marina Lewycka

Quatrième de couverture

Georgie a le moral en berne : son mari vient de la quitter et elle a pris du retard pour rendre ses articles à la revue Les Adhésifs dans le monde moderne. Mais quand elle rencontre Mrs Shapiro, une vieille émigrée juive excentrique qui fourrage dans sa benne à ordures, une solide amitié se noue. Peu après, Mrs Shapiro est admise à l’hôpital et Georgie, attachée à sa nouvelle amie, prend en charge sa grande bâtisse en ruine. Flanquée de sept chats malodorants, de trois artisans incompétents et de deux agents immobiliers véreux, elle découvre le passé de Mrs Shapiro et de sa maison. Elle se rend compte combien les êtres humains sont soumis aux lois chimiques de l’adhésion, et combien ils sont accrochés les uns aux autres par des liens qui se tissent tout au long de la vie.

Des adhésifs dans le monde moderne est un roman qui porte bien son titre : des chats poisseux et collants, une Mrs Shapiro attachante mais pas très nette, des agents immobiliers tenaces et coriaces, des artisans empâtés mais bien incrustés, un mari endurci et déjà bien décroché, un fils un peu trop hermétique et un conflit israëlo-palestien toujours aussi englué. Récoler les morceaux et les pièces détachées, réparer les dégâts, rassembler les pièces du puzzle, Georgie semble bien être le liant qui apportera une certaine cohérence à tout ces éléments disparates. Si seulement la générosité, l’écoute, le pardon et la compassion pouvait exister en tube pour cimenter toutes ces aspérités et atténuer les angles. Car si l’attraction de surface est augmentée lorsqu’on accentue la rugosité des supports à coller, c’est aussi parce que nos failles, nos doutes et nos manques mutuels se révélent plus conciliateurs que nous ne pouvons le penser.

Un roman sympathique mais sans plus, tant les situations et les personnages restent en surface (vous me direz, rien de plus normal pour des adhésifs ). Un roman où l’humour ne fait jamais défaut et donc parfait pour se détendre et passer un moment agréable mais qui n’évite pour toujours certaines longueurs et quelques effets un peu trop appuyés. Idéal donc pour les vacances si on recherche une lecture légère et divertissante, même s'il évoque des sujets qui pourraient sembler de prime abord difficiles, tant le roman aborde des thématiques complexes (la création d'Israël, les conflits israëlo-palestien, la séparation, la vieillesse, les classes sociales, le spéculation, l'immigration, la deuxième guerre mondiale, la grande Bretagne sous Margaret Thatcher et la révolte des mineurs) avec humour et décalage salvateur.

Merci à Babelio et aux éditions Les Deux Terres de m’avoir fait parvenir ce roman en avant première.


dimanche 17 avril 2011

Elena et le roi détrôné de Claudia Piñeiro

Quatrième de couverture

Pour Elena, atteinte de la maladie de Parkinson, le temps se mesure en cachets de dopamine. Son cerveau n'est plus qu'un roi détrôné, incapable de se faire obéir sans ce capricieux émissaire. Quand on lui annonce l'invraisemblable suicide de sa fille, Rita, elle sait qu'il lui faut mener sa propre enquête, et qu'elle a besoin d'aide. Vingt ans plus tôt, elle a sauvé des griffes d'une faiseuse d'anges une jeune femme qui lui envoie chaque année un émouvant gage de bonheur familial. Alors, au prix d'un effort titanesque rythmé par ses pilules, elle traverse Buenos Aires pour demander à Isabel, qu'elle n'a jamais revue, d'acquitter sa dette : prêter son corps valide pour retrouver le meurtrier supposé. Mais le malentendu est abyssal entre les deux femmes. Qui doit payer et pour quoi ? Condition féminine, vulnérabilité, préjugés, ce roman utilise les ressorts de la littérature policière pour livrer une subtile réflexion sur la construction de l'identité et une troublante interrogation sur l'obstination à vouloir vivre, à tout prix.

Cela tenait de la gageure mais l’auteur a réussi haut la main à retenir l’attention vigilante de son lecteur en transformant le chemin de croix d’une femme d’une soixantaine d’années atteinte de la maladie de Parkinson en odyssée digne d’une tragédie grecque. Oubliez « les ressorts de la littérature policière » de la quatrième de couverture, nous sommes en plein roman psychologique dans lequel trois portraits de femmes se chevauchent, se juxtaposent, se croisent et se repoussent à la fois. Nous sommes au plus près de la maladie, nous sommes même en dedans, dans la tête et le corps d’Elena qui lui échappe, ce corps paralysé et agité à la fois, ce corps hors de contrôle et hors de portée, comme peuvent l’être certains de nos proches, que nous pensions connaître mais qui nous échappent toujours un peu. La maladie occupe la place centrale du roman mais sans pathos ni apitoiements : le ton est rude, sec, frontal et percutant, comme le sont les relations interpersonnelles pleines de non-dits, de colères, de rancunes et de frustrations mais aussi d’amour et d’affection.

Il n’est pas donné à tout le monde d’accepter l’inacceptable, nous atteignons tous un moment ou un autre notre limite supportable. Voici alors venu le temps où il n’y a plus aucun échappatoire possible, et nul ne sait d’avance comment il s’y révélera : avec hargne, pugnacité, avec pudeur, avec effroi, peur ou rejet.

« Un jour, n’importe lequel, le jour où votre fille m’a trouvée vomissant sur un trottoir, le jour où votre fille a été trouvée morte dans le clocher d’une église, ou même aujourd’hui, la vie nous met à l’épreuve, ce n’est plus une mise en scène sur un théâtre imaginaire. C’est le jour où se produit devant nous la véritable révélation, ce jour-là il n’y a plus de mensonge qui vaille. »

Ce qui me frappe avant tout après la lecture de ce roman est ce grand respect que je ressens envers ces trois femmes, qu’on se garde bien de juger tant nous ne savons pas nous-mêmes comment nous réagirions face à ces situations. La vie est un combat de tous les jours, âpre et cruel, et la rage de vivre se trouve parfois là où on ne l’attendait pas.

Un très bon roman et un auteur à suivre de très près.