mardi 27 décembre 2011

Les contes macabres d'Edgar Allan Poe, traduits par Charles Baudelaire, illustrés par Benjamin Lacombe




Quel bel objet que voilà : recueil de huit nouvelles d’Edgar Allan Poe dans une édition inédite illustrée par Benjamin Lacombe à l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’écrivain (date de la première édition en 2009). 
 
Chaque conte est rehaussé par les dessins de ce jeune illustrateur devenu une référence dans la littérature jeunesse, dessins qui apportent un petit supplément d’âme à ces contes mélancoliques morbides teintés de fantastique et de mysticisme.
 
Héros solitaires tourmentés par leurs pensées funestes, femmes sensuelles maladives et moribondes, il faut bien avouer que toutes ces nouvelles se ressemblent un peu. Je vous conseille de ne pas les lire à la suite sous peine de lassitude : un petit conte par jour est donc plus que suffisant sous peine de les confondre rapidement.
 
Je serais bien en peine de vous dire où commence la plume d’Edgar Allan Poe et où se termine celle du traducteur Charles Baudelaire tant j’ai l’intime conviction qu’elles s’interpénètrent habilement pour notre plus grand plaisir.
 
Quelques coquilles malheureusement subsistent, mais une très belle mise en page et une belle tranche de papier noire les rachètent sans peine.
 
Bon à savoir : l’édition de 2010 a été enrichie de la nouvelle Ligeia ainsi que de dessins couleurs inédits par rapport à l’édition 2009.
 
Les contes macabres de cette présente édition sont : Bérénice - Le chat noir - L’île de la fée - Le cœur Révélateur - La Chute de la maison Usher - Le portrait ovale – Morella – Ligeia. Présents également : Edgar Poe, sa vie, ses œuvres et les biographies & bibliographies de tous les intervenants (E.A.Poe, C. Baudelaire et B.Lacombe). 






A découvrir également :

* Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, illustré par Benjamin Lacombe

lundi 26 décembre 2011

Limonov d'Emmanuel Carrère



Présentation de l'éditeur
 
« Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement. C’est une vie dangereuse, ambiguë : un vrai roman d’aventures. C’est aussi, je crois, une vie qui raconte quelque chose. Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais sur notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ».
 
Je viens de terminer Limonov est mon sentiment est mitigé : j’avoue avoir souvent trouvé le temps long et ne pas bien comprendre tout l’enthousiasme que suscite ce livre mais son plus grand atout est sans conteste l’imbrication de la petite histoire dans la grande histoire de la Russie. J’ai apprécié également l’implication de l’auteur dans la trame du récit, fait avec parcimonie et intelligence. Sans doute me manquait-il cette fascination que porte Emmanuel Carrère à Edward Limonov pour me convaincre véritablement : difficile d'accrocher lorsque le personnage principal nous indiffère totalement. Difficile de dépasser cette impression que Limonov ne soit qu’une petite frappe avide de notoriété, aimant se mettre en scène en écrivant sa légende mais aboutissant toujours à la quincaillerie la plus vulgaire Un personnage sans élégance et manquant de consistance, un « m’as-tu-vu » assez trash pour fasciner un homme bien né comme Emmanuel Carrère, même si sans doute « c’est plus compliqué que ça ». Le plus grand reproche que je peux faire à l'auteur est le fait que ce personnage n’a jamais vraiment pris chair à mes yeux, un comble pour un récit qui ne fait pas l’impasse sur les détails crus (complaisants ?) de sa vie intime, souvent creux et sans intérêts. Je suis du coup restée à l’extérieur du personnage, avec cette impression étrange que tout un pan de la psychologie d’Edward Limonov a finalement échappé à Emmanuel Carrère, demeurant souvent au plus près des événements - tels que racontés dans les récits publiés de Limonov - nombreux et ne manquant pas de piquants, il est vrai. Reste le parcours d'un personnage hors norme et d'un pays tout aussi singulier. Livre qui tombe merveilleusement à point au vu des manisfestations à l'encontre du troisième mandat (ou plutôt d'un quatrième qui ne dit pas son nom) de Vladimir Poutine.
 
Si Limonov ne m’a pas totalement convaincue, il ne reste que cette première rencontre avec l’auteur m’a donnée envie d’aller voir plus loin en sa compagnie. Avec toutefois une notion de réserve. A suivre donc.
 
Prix Renaudot 2011

mardi 20 décembre 2011

L'Enfance d'Ivan d’Andreï Tarkovski



Nous sommes en pleine deuxième guerre mondiale. Le jeune Ivan, 12 ans à peine, ne vit plus que pour venger la mort de sa mère, tuée par les allemands en allant au puits. Il rejoint le front russe pour servir sa cause, s’infiltrant au risque de sa vie à l'intérieur des lignes allemandes pour fournir de précieux renseignements.

L’enfance d’Ivan est le premier long métrage d’Andreï Tarkovski (1962) et tout l’univers du réalisateur est déjà présent dans ce premier film : l’enfance meurtrie, la mère et son absence, le deuil, la nostalgie et la perte de l’innocence, la nature sublimée, les scènes oniriques et des images de guerre (rappelons que Tarkovski n'avait que 14 ans à la fin de la seconde guerre mondiale).


Mais ce qui frappe surtout est cette omniprésence de la matière liquide dans ce premier film et dans son œuvre en général : cette pluie qui purifie et qui peut sauver des vies humaines, en effaçant les traces de pas laissées sur le sol pouvant trahir notre présence à l’ennemi, cette eau qui nettoie et désaltère les corps, cette surface réfléchissante tel un miroir, le marais comme passage entre deux rives, entre deux mondes, ce lieu d’entre-deux sur lequel on conduit son embarcation tel Charon conduisant les ombres errantes des défunts vers le séjour des morts.


Un film sur l’attente, l’enfance sacrifiée, l’enfant vengeur devenu monstrueux malgré sa blondeur angélique,  aussi sombre et maléfique que les événements qui ont précédé cette rupture, ce point de non-retour. Un enfant qui déstabilise, qui a déjà tout perdu que pour connaître encore la peur, un enfant qui pose question, à qui on s’attache malgré son étrangeté, un enfant qu’on voudrait protéger malgré lui. Un enfant déjà mort.


Je retiens aussi quelques images magnifiques comme cette forêt de bouleaux, ce lieu préservé et à l’écart de la folie de hommes, l’étreinte (forcée ?) d’un homme et d’une femme au-dessus du vide d’une tranchée.


Présence déjà de la cloche en fonte, des chevaux, des icônes religieuses, des arbres, des ambiances crépusculaires et des miroirs et autres surfaces réfléchissantes.


Une première œuvre qui annonce le grand Tarkovski à venir, ce réalisateur construisant ses films comme autant de prières et de méditations sur la nature et la conscience humaine.


Titre original : Ivanovo Detstvo
Réalisateur : Andrei Tarkovski
Acteurs : Nikolaï Burlyaïev, Valentin Zubkov
Origine : Russie
Genre : Drame
Année de production : 1962
Durée : 1h34

Note : 5/5


A découvrir, du même réalisateur :

•   Le miroir
•   Nostalghia
•   Solaris

 

mercredi 30 novembre 2011

L’appât de José Carlos Somoza

Roman construit essentiellement comme un thriller ‘classique’, l’histoire consiste à poursuivre deux dangereux tueurs en série, à savoir le Spectateur et l’Empoisonneur, dans la ville de Madrid légèrement futuriste. Mais c’est la méthode utilisée qui donne toute la saveur et l’originalité de ce roman : on ne poursuit plus la piste des meurtriers mais on les attire à l’aide d’appâts humains initiés aux techniques des Masques, techniques basées sur le décryptage des œuvres de Shakespeare et qui consistent à jouer des scènes en prenant certaines postures afin d’attirer pour ensuite neutraliser le meurtrier. Le grand écrivain et dramaturge de l’époque élisabéthaine aurait en effet fourni toutes les clés nécessaires pour décoder le genre humain et l’analyse de ses œuvres aurait permis de dégager une cinquantaine de philias, à savoir des catégories de profils psychologiques particuliers réagissant à certains stimuli spécifiques pouvant être reproduits à la ville comme sur une scène de théâtre. On ne dégaine plus son arme pour neutraliser un psychopathe mais on le paralyse momentanément en lui faisant subir une overdose de plaisir en le matraquant de stimuli adéquats, stimuli engendrant sur sa psyché des effets tout aussi immédiats qu’incontrôlables pour celui qui en subit les conséquences.
 
Mais il semblerait que le Spectateur échappe à toute catégorisation : il fait bien partie de la philia de l’holocauste mais pas seulement, ce qui complique la donne et rend ‘la pêche’ plus difficile. Diane Blanco, meilleur appât en activité à ce jour et ultime arme secrète d’une méthode ultraconfidentielle du gouvernement, part sur les traces du meurtrier d’autant plus volontiers que sa jeune sœur, appât débutant, vient de se faire enlever.
 
Faux-semblant, manipulations psychologiques, règne de l’apparence et des masques, mensonges, impostures, magouilles et dérives en tous genre, l’auteur s’amuse et nous avec, enfin surtout pendant les ¾ du récit. Car le dernier quart va un peu trop dans tous les sens : de rebondissement en rebondissement, on finit malheureusement par passer du grand théâtre Shakespearien au Grand-Guignol tant il abuse des retournements.
 
L’appât de José Carlos Somoza est un roman qui arrive à insuffler un certain malaise si pas une certaine fascination par son inventivité et le côté subversif et provocateur de la méthode utilisée. Un régal dans son genre, haletant et très prenant. Je retire une étoile pour le final excessif.



 Note

lundi 28 novembre 2011

Le chinois de Henning Mankell

Quatrième de couverture
 
Par un froid matin de janvier 2006, la police de Hudiksvall, dans le nord de la Suède, fait une effroyable découverte. Dix-neuf personnes ont été massacrées à l’arme blanche dans un petit village isolé. La policière Vivi Sundberg penche pour l’acte d’un déséquilibré. Mais la juge de Helsingborg, Birgitta Roslin, qui s’intéresse à l’affaire car les parents adoptifs de sa mère sont parmi les victimes, est persuadée que ce crime n’est pas l’œuvre d’un fou. Elle mène une enquête parallèle à partir d’un ruban de soie rouge trouvé sur les lieux qui raconte une tout autre histoire et l’entraîne dans un voyage vers d’autres époques et d’autres continents, et surtout en Chine, cette nouvelle superpuissance en pleine expansion sur la scène mondiale. À son insu, Birgitta Roslin est prise dans l’engrenage d’une machination géopolitique qui finira par mettre sa vie en danger.
 
Malgré un début prometteur (dix-neuf membres d’une même famille massacrés à l’arme blanche dans un village isolé du nord de la Suède), les indices trouvés par la juge au début de l’enquête nous mettent rapidement la puce à l’oreille, à tel point que la recherche du coupable ne devient plus qu’un lointain prétexte sur une bonne partie du récit. Exit le thriller et le polar, place nette à l’histoire et la géopolitique. Déjà ça coince un peu, dans la mesure où ces différentes parties ne s’emboitent pas de manière très heureuse (l’alibi des meurtres s’avérant vraiment grotesque). Mais là où j’ai encore eu le plus de mal est dans la teneur du propos : attention au péril jaune, faites gaffe aux méchants chinois aux visées stratégiques et expansionnistes. Il est vrai que nous sommes bien placés pour jouer aux donneurs de leçons, ben voyons. Je me pose même la question si une certaine forme de racisme ne pointe pas le bout de son nez derrière cette mise en garde. Enfin bref, je retiens surtout de ce roman une certaine lourdeur, un manque de rythme, une intrigue décousue et invraisemblable, des propos qui me posent question quant à leur intention et le peu de suspense si ce n’est au début et à la fin (400 pages entre les deux tout de même). Moyen, sans plus. Mais mon avis ne rejoint pas du tout la majorité, alors il ne vous reste qu'à le lire pour vous faire votre propre opinion, comme toujours.

lundi 7 novembre 2011

Tout ce que j’aimais de Siri Hustvedt

Quatrième de couverture

Au milieu des années 1970, à New York, deux couples d'artistes ont partagé les rêves de liberté de l'époque. De l'art et de la création, ils ont fait le ciment d'une amitié qu'ils voulaient éternelle et, quand ils ont fondé leur famille, se sont installés dans des appartements voisins. Rien n'a pu les préparer aux coups dont le destin va les frapper et qui vont infléchir radicalement le cours de leurs vies...

Siri Hustvedt nous convie à un voyage à travers les régions inquiétantes de l'âme : bouleversant, ambigu, vertigineux, Tout ce que j'aimais est le roman d'une génération coupable d'innocence qui se retrouve, vingt ans plus tard, au bout de ses rêves.

J’ai beaucoup aimé ce roman, particulièrement le dernier tiers. Beaucoup d’humanité se dégagent de ces pages, avec tout ce qu’elle a de meilleur et de pire : amitié, amour, créativité, générosité, empathie, accompagnement mais aussi deuil, mensonge, manipulation, déchéance et vice.

Un très bon roman sur la perte et la question d’identité. Qui sommes-nous ? Comment devenons-nous ce que nous sommes ? Quel est le poids de notre héritage familial ? Quelle responsabilité avons-nous en tant que parents ou proches dans cette construction identitaire ? Beaucoup de questions sans réponses simples ni définitives tant la complexité du cheminement de l’homme dans la construction de son identité est grande et difficilement appréciable.

Roman sur la culpabilité mais aussi sur ces moments très délicats que sont ces points de non-retour dans une vie : il y a des événements qui font qu’aucun retour en arrière n’est possible, de gigantesques carrefours qu’on n’attendait pas s’ouvrent à nous et nous voilà bien obligés de nous y engouffrer sans trop savoir où cela nous mènera. Travail difficile qui consiste dans un premier temps à accepter cette perte de contrôle et ces moments d’égarements, tout en essayant de se reconstruire petit à petit.

« Tout ce que j’aimais » est mon roman préféré de l’auteur à ce jour. Et pourtant ce n’était pas gagné d’avance tant il peine à prendre son envol et prend son temps, mais cela vaut la peine de s’accrocher tant la diversité des thèmes abondent et la manière délicate d’y toucher finit véritablement par nous transporter. Je retiendrai surtout de ce roman une belle sensibilité et sa belle humanité.


Tout ce que j’aimais de Siri Hustvedt , Éditions Actes Sud, Collection Babel, août 2013



 Note

vendredi 21 octobre 2011

Châteaux de la colère de Alessandro Baricco

Quatrième de couverture

Vers le milieu du XIXe siècle, dans la petite ville imaginaire de Quinnipak, vit toute une communauté rassemblée autour de la très belle Jun Reihl, dont toute la ville admire les lèvres, et de son mari monsieur Reihl, directeur de la fabrique de verre. À Quinnipak, chacun a son désir, sa « folie » secrète : Pekish, l'extravagant inventeur de l'« humanophone », un orchestre où chacun ne chante qu'une seule note, toujours la même; Pehnt, son jeune assistant, enfant trouvé toujours vêtu d'une veste immense et informe; la « veuve » Abegg, veuve d'un mari qu'elle n'a jamais épousé; Horeau, l'architecte français qui rêve de grandioses constructions transparentes, et Élisabeth, la locomotive à vapeur...

Avec "Châteaux de la colère", Baricco nous offre un roman foisonnant et singulier, construit comme une fugue où chacun chante sa partition avec justesse et jubilation.

J’aime bien les microcosmes peuplés de personnages fantasques et les récits aux allures de contes et je dois dire que les premiers chapitres ont été plus qu’enthousiasmants en début de lecture. Hélas, le roman s’essouffle dès le deuxième tiers et mon désintérêt n’a pris que plus d’ampleur au fil des pages. Châteaux de la colère se veut original, brillant et lyrique (et il l’est à certains moments) mais s’avère progressivement plus enquiquinant et laborieux qu’autre chose. Dommage car l’histoire avait du potentiel et l’on sent malgré tout qu’un auteur en devenir pointe à l’horizon, certains passages ne manquant décidément pas de panache. D’un autre côté, l’auteur semble s’être donné beaucoup de mal pour nous livrer un enseignement moral digne des meilleures paraboles. Le hic est que j’ai eu l’impression de ne pas avoir pu en saisir toute la portée tant la déconstruction du récit, l’artificialité du style et mon désintérêt grandissant n’ont pas aidé à l’appréhender. 

Un premier roman en demi-teintes donc, qui ne tient pas toutes ses promesses à force de sacrifier le contenu au profit du style. J’aime bien les chemins de traverse mais faut-il encore ne pas égarer le lecteur. Sans doute l’auteur a-t-il écrit beaucoup mieux depuis lors, je me souviens en tout cas de son roman Soie au style bien plus épuré et au contenu plus probant.

Prix Médicis étranger 1995.


vendredi 14 octobre 2011

Les madones d'Echo Park de Brando Skyhorse

Bienvenidos 
 
Nous sommes entrés dans ce pays comme des voleurs, sur cette terre qui fut nôtre. Ceux qui n'y étaient jamais venus ont enfin découvert la Terre promise dans la pénombre ; ceux qui en avaient été expulsés et y revenaient n'ont vu que l'ombre de cette promesse. Avant que le jour se lève sur ce désert exsangue qui s’étend des abysses les plus féroces du Pacifique aux crêtes silencieuses des sommets abrupts des monts San Gabriel, il règne un froid glacial, les frontières disparaissent, et, en moins de temps qu’il n’en faut pour claquer des doigts ou cligner de l’œil, nous courons, portés par le souffle gelé du matin jusque dans le feu des cuisines où nous préparons vos repas, valsant sur des kilomètres de carrelage pour nettoyer vos maisons, nous posant comme la rosée sur l’herbe hirsute pour tondre vos pelouses. Nous nous précipitons dans ce rêve américain, déterminés à nous défaire de tout ce que nous connaissons et aimons, qui nous encombrerait, en échange du moindre espoir de survie. C’est ainsi que nous apprenons à louvoyer. Je ne mesure pas la valeur de cette terre à ce que je possède mais à ce que j’ai perdu, parce que, plus on perd, plus on devient américain. […] 
 
Ce que je ne pensais pas pouvoir perdre était ma place dans ce pays. Comment perdre ce qui ne nous a jamais appartenu ? 

 
Waouh si ça ce n’est pas un début qui en jette ! Et si la suite n’est pas tout à fait du même tonneau, il n’en reste pas moins que Les madones d’Echo Park [The Madonnas of Echo Park] est un premier roman plutôt réussi.
Echo Park est un quartier de la ville de Los Angeles à majorité mexicaine, même s’il connait depuis quelques années une gentrification progressive. Les madones d’Echo Park est l’histoire de ce quartier à travers trois générations d’immigrés mexicains qui s’entremêlent, se croisent, s’entrechoquent, se cachent ou s’évitent dans ce roman choral où chaque protagoniste prend la parole le temps d’un chapitre.
Roman sur la communauté latino en mal d’identité mais surtout roman sur le rêve américain, avec ces espoirs, ces illusions mais aussi ces égarements et ces désenchantements ; celui des femmes de ménages, des membres de gangs et des petites filles qui s’identifient à Madonna, icône de la réussite sous ses appâts latino à l’époque de ses premiers clips passant en boucle sur MTV. Un bémol tout de même : si on distingue sans mal les différents protagonistes du récit, Brando Skyhorse n’a pas su leur donner un grain de voix propre à chacun d’eux.

Un bon premier roman dans son ensemble, et un auteur prometteur à suivre de près !

Quelques mots sur l'auteur :

Brando Skyhorse est un jeune romancier américain. La préoccupation identitaire occupera sans nulle doute une place de choix dans son œuvre tant l’histoire personnelle de l’auteur y contribuera : fils d’un mexicain qui l’abandonnera à l’âge de trois ans, Brando grandira dans l’ignorance de ses origines et sera adopté par son beau-père, un indien impliqué dans les mouvements de revendications pour les droits des Amérindiens aux Etats-Unis. La découverte de ses véritables origines mexicaines jettera un trouble identitaire, tant il vaut mieux socialement se réclamer de la nation indienne que mexicaine en Amérique. Une histoire troublante qui nourrira certainement son prochain livre autobiographique Things my fathers taught me.


mardi 11 octobre 2011

D’acier de Silvia Avallone

Quatrième de couverture

Il y a la Méditerranée, la lumière, l'île d'Elbe au loin. Mais ce n'est pas un lieu de vacances. C'est une terre sur laquelle ont poussé brutalement les usines et les barres de béton. Depuis les balcons uniformes, on a vue sur la mer, sur les jeux des enfants qui ont fait de la plage leur cour de récréation. La plage, une scène idéale pour la jeunesse de Piombino. Entre drague et petites combines, les garçons se rêvent en chefs de bandes, les filles en starlettes de la télévision. De quoi oublier les conditions de travail à l'aciérie, les mères accablées, les pères démissionnaires, le délitement environnant... Anna et Francesca, bientôt quatorze ans, sont les souveraines de ce royaume cabossé. Ensemble, elles jouent de leur éclatante beauté, rêvent d'évasion et parient sur une amitié inconditionnelle pour s'emparer de l'avenir.

Ce premier roman d’une jeune auteure de 25 ans à peine connait un joli succès : en tête des ventes en Italie, traduit dans de nombreux pays et récompensé par plusieurs prix littéraires (dont celui de prix des lecteurs de L'Express 2011), il est déjà en cours d’adaptation au cinéma. Pas étonnant tant il se lit d’une traite mais surtout possède une voix qui porte et sonne vrai. Milieu ouvrier désœuvré et désenchanté, ville industrielle déclinante, pères démissionnaires, mères anesthésiées, le passage de l’enfance à l’adolescence, le corps qui se métamorphose, les premiers amours, l’amitié et ses blessures, les échappatoires minables d’une vie minable, la beauté insolente de la jeunesse, tout sonne tellement juste qu’on ne doute pas une seconde que Silvia Avallone sait de quoi elle parle. Un léger bémol sur la fin mais on lui pardonne bien volontiers tant le roman tient bien la route jusque là. Un roman social et percutant comme je les aime, je vous dis à bientôt Madame Silvia Avallone !


jeudi 6 octobre 2011

Muse de Joseph O'Connor

Quatrième de couverture

Elle était pauvre, irrévérencieuse, sensuelle, très belle et rebelle à toute autorité, sauf à celle du génie et de l'amour. Elle s'appelait Molly Allgood, elle fut une comédienne aussi prometteuse que courtisée, et eut pour amant l'un des plus grands dramaturges irlandais, John Millington Synge. C'était en 1907, l'année de la création du Baladin du monde occidental au théâtre de l'Abbaye, dans un Dublin bruissant de rumeurs. Molly avait dix-neuf ans, John trente-sept. Il fut son Pygmalion, elle sa muse. Leur passion aurait-elle pu résister au poids des conventions et à l'hostilité de leurs proches ? À Londres, près de cinquante ans plus tard, l'actrice déchue hante les rues noyées dans le brouillard. Peu à peu, les souvenirs resurgissent, comme le désir pour celui qu'elle n'a jamais réussi à oublier...

Ce roman au début prometteur et porté par une belle écriture s’enlise malheureusement progressivement, sa chronologie déroutante n'aidant pas vraiment à s'accrocher. Et c'est avec un léger sentiment de délivrance que j'ai tourné les dernières pages du récit. Pas vraiment mauvais mais pas non plus le meilleur roman de l'auteur, loin s'en faut, même s'il distille de temps à autre un charme volatile et indéfinissable, la patte de Joseph O'Connor sans doute.

Plus qu’une biographie romancée, il s’agit surtout ici de la déchéance d’une femme jolie mais "mal-née", du poids des conventions sociales et de l'héritage familial quel que soit l'amour porté à l'autre. Que son partenaire ait été John Millington Synge n'a pas vraiment eu de signification particulière pour moi, si ce n'est qu'il introduit l'univers du théâtre et de l'écriture. Pour le reste, il semble toujours dans l'ombre, en retrait, distant et finalement inatteignable, il glisse entre les doigts cet homme-là.




L'extrait d'une pièce écrite par Molly (lorsque deux univers, l'un bourgeois et l'autre rural, se rencontrent autour d'une table) est par ailleurs un petit bijou de drôlerie.  Mais cela ne suffit pas à sauver ce roman dans l'ensemble assez maussade. Les couleurs dominantes sont du côté de l'amer, de la mélancolie, de la déchéance et des désillusions de la vie. Un roman triste finalement.
 


dimanche 2 octobre 2011

Le voyage de l’éléphant de José Saramago

Quatrième de couverture

Salomon, le magnifique éléphant d'Asie, vit depuis deux ans à Belém. Le roi Joao III décide de l'offrir à l'archiduc Maximilien d'Autriche. De Lisbonne à Vienne, en passant par les plateaux de la Castille, la Méditerranée, Gênes et la route des Alpes, Salomon traverse ainsi l'Europe, au gré des caprices royaux et des querelles militaires, soulevant sur son passage l'enthousiasme des villageois émerveillés.

Je connaissais déjà l’écriture particulière de José Saramago après avoir lu Les intermittences de la mort. Et curieusement, autant je m’y étais rapidement habituée à ma première lecture, autant j’ai peiné à celle-ci. Marre de faire des efforts pour suivre le récit, marre de revenir en arrière après m’être rendue compte que j’avais lu à vide les phrases qui semblaient n'en plus finir. Le voyage me semblait long et fastidieux, d’où mon abandon. Puis ce sentiment d’artifices dans l’écriture me gênait de plus en plus. Mais je reviendrais tout de même vers lui, histoire de trancher définitivement la question, à savoir j’aime ou je n’aime pas cet auteur. Reste l’ironie, l’impertinence et l’érudition joyeuse de José Saramago. Mais comme tout me semblait si dense, si condensé et si étouffant à la longue.

vendredi 9 septembre 2011

Des vies d'oiseaux de Véronique Ovaldé

Mais qui saura d’où je viens ?
 
Une douce mélancolie en toile de fond saupoudrée de quelques touches d’humour teintées de tendres ironies, l’auteur nous emmène une nouvelle fois dans un pays imaginaire de l’Amérique latine, vaste territoire offrant tous les contrastes (géographiques, climatiques, sociaux) propices au déploiement de l’imagination de l'auteur.
 
Ce roman commence là où se terminent en général les contes de fées : un beau prince charmant sort sa princesse d’une ville pouilleuse au milieu du désert pour l’emmener dans son château de la Coline Dollar. Vingt ans ont passé, le beau prince charmant s’est transformé en roi toujours aussi clinquant que superficiel et creux, le palais de la reine vacille tandis que la princesse, leur fille Paloma de 18 ans, s’est fait la malle avec un mauvais garçon.
 
Vida s’est demandé, « Mais d’où vient-il ? D’où vient ce drôle de garçon ? ». Alors que ce n’était pas du tout la bonne question, la bonne question était, « Mais où va-t-il emmener ma fille ?
 
C’est que la Reine Vida a payé le prix fort pour s’extraire de sa condition sociale : femme docile, atone (au point qu’elle aimerait se glisser dans le jardin et disparaître entre les pierres et les agaves dans ses voiles verts), elle s’est contentée de vivre à l’ombre de son mari qui ne s’est jamais intéressé à autre chose qu’aux apparences. La blessure occasionnée par la fuite de Paloma va fissurer à tout jamais cette cage dorée. L’arrivée du lieutenant Taïbo, venu constater que des intrus s’étaient installés sans rien voler dans la somptueuse villa de Villanueva en l’absence du couple, ajoutera sa pierre à ce bel édifice branlant...
 
L’importance des origines et de la transmission, les liens familiaux et conjugaux, la rupture nécessaire pour se débarrasser de ses derniers oripeaux, l’envol indispensable pour déployer ses ailes, l’émancipation des femmes tout simplement.
 
Il n’y a donc jamais d’autre solution que de partir.

Véronique Ovaldé aime ses personnages et nous les aimons à travers elle. Notamment Taïbo, ce flic placide à l’empathie encombrante qui n’aime pas poser des questions qui fâchent, souffrant par ailleurs d’un chagrin d’amour qui dure depuis 10 ans. Un homme tranquille mais néanmoins résolu qui sait regarder ce qui l’entoure.
 
Quel beau roman de la rentrée littéraire 2011, peut-être le meilleur à ce jour de Véronique Ovaldé, qui passe à la vitesse supérieure. Nous ne sommes plus dans la fable comme dans son précédent roman : les personnages nous sont plus proches, plus réels, plus palpables, il n’y a plus ce miroir sans tain qui pouvait frustrer certains lecteurs à la lecture de son précédent roman, Ce que je sais de Vera Candida

Mention spéciale pour l’écriture qui contient beaucoup d’incises intercalées entre parenthèses, l’art de la digression qui donne toujours sens, qui précise ce qui a été dit précédemment en apportant une nuance bienvenue, un éclaircissement ou au contraire une interrogation.
 
Une très belle réussite et un très bon moment de lecture. 

jeudi 8 septembre 2011

La ballade du café triste de Carson McCullers

Quatrième de couverture

Grande, efflanquée mais redoutablement musclée, Amelia Evans inspire le respect de ses concitoyens : on apprécie autant l'alcool qu'elle distille clandestinement que ses talents de guérisseuse. Le mystère plane cependant autour d’elle. Pourquoi a-t-elle chassé au bout de quelques jours l’homme qu’elle avait épousé ? Et quel rôle tient exactement à ses côtés ce cousin bossu venu de nulle part ?

La ballade du café triste, première et principale nouvelle (par le nombre de pages mais aussi par son excellence) de ce recueil, qui en compte sept au total, donne un bon aperçu de l’œuvre de Carson McCullers : besoin d’amour, non-réciprocité des sentiments, incommunicabilité, déchirures, mensonges et trahisons, perte et solitude. Une petite musique mélancolique empreint de tristesse mais aussi de poésie et de délicatesse : tout est dans le détail, l’émotion contenue, la fragilité des sentiments, le murmure étouffé.

Les désenchantés de Carson McCullers nous laissent un arrière-goût de désolation, à l’image de son Sud profond natal : « […] triste, solitaire, un endroit loin de tout, en marge du monde ».

A noter l’excellente préface de Jacques Tournier, qui en quelques pages arrivent à nous transmettre son admiration pour Carson McCullers (dont il est traducteur et biographe) tout en nous livrant en quelques mots les clés essentielles pour comprendre son œuvre, souvent d’inspiration autobiographique.

La ballade du café triste » : (…) le cœur des petits enfants est un organe très délicat. Un début cruel dans la vie peut lui donner d’étranges formes. Le cœur d’un enfant blessé peut diminuer tellement qu’il finit par être dur et grêlé comme un noyau de pêche. Mais il peut aussi enfler et s’alourdir, et devenir comme un poids intérieur impossible à supporter, car la moindre chose l’irrite et l’enflamme.

Nouvelles composants ce présent recueil, par ordre de présentation : La ballade du café triste - Wunderkind - Le Jockey - Mme Zilensky et le roi de Finlande - Celui qui passe - Un problème familial - Une pierre, un arbre, un nuage.


dimanche 4 septembre 2011

Le musée du silence de Yôko Ogawa

Un jeune muséographe débarque dans un village éloigné à la demande d’une vieille femme acariâtre qui aimerait lui confier le soin de recenser et de mettre en scène une collection d’objets volés insolites : chaque objet représente un villageois décédé censé le définir au mieux, ultime vestige d’une intimité anonyme dont il ne resterait rien sans cette soustraction quelques heures après la mort de leur propriétaire, à l’insu de leur famille.

Un roman lent au charme étrange et envoûtant, une atmosphère inquiétante et oppressante d’un curieux village qui semble être coupé du monde et dont on ne revient jamais, des processions originales comme la fête des pleurs supposé repousser le plus longtemps possible les effets d’un hiver triste et froid, des prédicateurs du silence qui recueillent les confessions des villageois, une bombe qui éclate et des meurtres en série qui contrastent avec la tranquillité apparente de l’endroit.

Le devoir de mémoire et la volonté de garder une empreinte du temps qui passe, l’importance de la transmission et de la continuité, la solitude et le silence qui nous entourent, la manipulation et l'incommunicabilité des êtres, les obsessions qui conduisent au fétichisme morbide.

Un roman idéal pour découvrir l’univers singulier et méphitique de Yôko Ogawa.

Le musée du silence de Yôko Ogawa, Éditions Actes Sud, Collection Babel,  30 mars 2005, 315 pages

vendredi 2 septembre 2011

Un été sans les hommes de Siri Hustvedt

Quatrième de couverture

Incapable de supporter plus longtemps la liaison que son mari, Boris, neuroscientifique de renom, entretient avec une femme plus jeune qu'elle, Mia, poétesse de son état, décide de quitter New York pour se réfugier auprès de sa mère qui a, depuis la mort de son mari, pris ses quartiers dans une maison de retraite du Minnesota. En même temps que la jubilatoire résilience dont fait preuve le petit groupe de pétillantes veuves octogénaires qui entoure sa mère, Mia va découvrir la confusion des sentiments et les rivalités à l'oeuvre chez les sept adolescentes qu'elle a accepté d'initier à la poésie le temps d'un été, tout en nouant une amitié sincère avec Lola, jeune mère délaissée par un mari colérique et instable... Parcours en forme de "lecture de soi" d'une femme à un tournant de son existence et confrontée aux âges successifs de la vie à travers quelques personnages féminins inoubliables, ce roman aussi solaire que plaisamment subversif dresse le portrait attachant d'une humanité fragile mais se réinventant sans cesse.

Un roman que j'ai bien aimé malgré ses faiblesses : beaucoup d'éléments sont ébauchés mais pas vraiment aboutis, il manque de liant pour tenir l'ensemble. On sent vraiment que ce roman suit le travail effectué pour l'essai intitulé La femme qui tremble : là où l'intellectualisation était légitime dans l'essai, il y prend bien prend trop de place dans le roman. Pourquoi autant intellectualiser lorsqu'elle aborde la féminité ? Trop proche, trop intime ? Besoin de prendre du recul par l'intellect ? Si j'ai aimé les esquisses du roman, il m'a laissé tout de même un goût d'inachevé par son manque de spontanéité : tout me semblait trop réfléchi, trop pensé, trop retenu. Une bonne ébauche donc mais j'attends encore LE roman féministe de Siri Hustvedt, qui peut aller beaucoup plus loin si elle se lâchait un petit peu plus : écrire avec plus de tripes et moins d'esprit et de contrôle. En tout cas, je l'attends avec impatience. Reste la belle écriture et la sensibilité de l'auteure, ce qui n'est pas rien tout de même.

« Les gens très âgés se languissent et meurent. Cela, nous le savons, mais les gens très âgés le savent bien mieux que nous. Ils vivent dans un monde de perte continuelle et cela, ainsi que l'avait dit ma mère, c'est cruel. »

« [...] quand j'étais folle, étais-je ou n'étais-je pas moi-même ? Quand une personne en devient-elle une autre ? »

« Seuls les gens âgés ont accès à la brièveté de la vie. »

« Répétition. Répétition, pas identité. Rien n'est répété exactement, même les mots, parce que quelque chose a changé dans celui qui parle et dans celui qui écoute, parce qu'une fois les mots dits et puis redits encore, la répétition elle-même les altère. »

« Les veufs se remarient parce que ça leur facilite la vie. Les veuves non, le plus souvent, parce que leur vie en serait plus difficile. »


lundi 29 août 2011

Melancholia de Lars von Trier


Synopsis

Justine et Michael célèbrent leur mariage en grande pompe dans la somptueuse demeure que possèdent sa sœur et son beau frère. Pendant ce temps là, la planète Melancholia se dirige vers la terre…

Lars von Trier et moi, ce n’est pas le grand amour. Mais il ne me laisse jamais indifférente. Aussi n’étais-je plus allée le voir au cinéma depuis Dancer in the dark (2000), film qui m’avait énervée au possible avec ce personnage de suppliciée jouée (merveilleusement) par Bjork, personnage à qui j’avais envie de donner des claques tellement il m’était insupportable de l’accompagner sur son chemin de croix. Et Catherine Deneuve en ouvrière… aussi plausible qu'un Stéphane Bern en ouvrier du bâtiment.

Je l’avoue humblement, j’ai un réel problème avec ses personnages de femmes sacrifiées et humiliées, avec cette question lancinante : mais que cherche-t-il à nous montrer derrière ces images de saintes martyrisées ? En tout cas ces femmes suscitent toujours en moi de la colère et de l’énervement, finissant à chaque fois par me dire qu’elles n’ont finalement que ce qu’elles méritent, un comble. Et c’est ce sentiment-là qu’il génère en moi que je reproche au réalisateur. Oui je sais, je suis parfois bien compliquée (j'entends déjà mon mari me demander seulement parfois ? hmhm).

C’est donc avec beaucoup d’appréhension que je suis allée voir Melancholia. Et miracle, j’en suis sortie plutôt satisfaite : j’ai enfin ressenti non plus de la colère mais une certaine compassion envers Justine la mélancolique (jouée par Kirsten Dunst) et sa sœur Claire angoissée par l’éventuelle prochaine collision d’une planète avec la terre (jouée par Charlotte Gainsbourg).

Pourtant ce n’était pas gagné d’avance : un scénario qui tient sur quelques lignes, un esthétisme qui peut en rebuter plus d’un, un message douteux au possible, des lenteurs nombreuses et quelques redites, comme ce mariage foireux de la première partie qui fait immanquablement penser à Festen de Thomas Vinterberg : une cérémonie de mariage ratée durant laquelle les masques tombent pour mieux laisser la place aux visages grimaçants. J’entends bien la mélancolie de Justine qui a bien du mal à s’y retrouver entre un père aussi joyeux luron que lâche et inconsistant, une mère froide et cynique, un mari plutôt maladroit, une sœur/beau-frère enfermés dans leur tour d’ivoire et un chef opportuniste dans le milieu publicitaire. Première partie suivie d’une deuxième partie plus science-fiction concernant la fin du monde prochaine assez réussie, sans oublier une intro et un final qui valent à eux seuls le déplacement.

Un film donc qui me réconcilie avec les personnages féminins de Lars von Trier : une femme mélancolique qui demeure à distance de ses proches et des spectateurs, sa sœur plus proche de nous, attachée à la terre et à sa famille. Nous ne sommes plus face à des saintes sacrifiées parce qu’elles le veulent bien mais face à des femmes fragiles qui doutent, qui angoissent, qui se posent question mais qui agissent aussi, malgré le peu de marges de manœuvres dont elles disposent. Elles n’en seront pas moins sacrifiées avec le reste de l’humanité, nous sommes bien en terrain connu avec un Lars Von Trier qui ne semble toujours pas vouloir se réconcilier avec le genre humain. N'y aurait-il donc vraiment rien à sauver sur notre triste planète ?

Quelques mises en tableaux du film, sublimes :







Réalisateur : Lars von Trier
Acteurs : Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland, Stellan Skarsgård, Alexander Skarsgård, John Hurt, Charlotte Rampling, Udo Kier
Origine : Danemark
Genre : Drame Science-fiction Thriller
Année de production : 2011
Date de sortie : 10/08/2011
Durée : 2h10



vendredi 26 août 2011

Le Seigneur des porcheries de Tristan Egolf

Quatrième de couverture
 
Ce premier roman singulier commence avec la mort d'un mammouth à l'ère glaciaire et finit par une burlesque chasse au porc lors d'un enterrement dans le Midwest d'aujourd'hui. Entre-temps, on aura assisté à deux inondations, à quatorze bagarres, à trois incendies criminels, à une émeute dans une mairie, à une tornade dévastatrice et à l'invasion de méthodistes déchaînés ; on aura suivi la révolte d'une équipe d'éboueurs et vu comment un match de basket se transforme en cataclysme. Tout se passe dans la petite ville de Baker, sinistre bourgade du Midwest ravagée par l'inceste, l'alcoolisme, la violence aveugle, le racisme et la bigoterie. Au centre des événements, John Kaltenbrunner, un enfant du pays, en butte à toutes les vexations, animé par une juste rancoeur. Comment John se vengera-t-il de la communauté qui l'a exclu ? Jusqu'où des années de désespoir silencieux peuvent-elles conduire un être en apparence raisonnable ? Dans un style flamboyant, Le seigneur des porcheries retrace l'histoire de cette vengeance, telle qu'elle est contée, après la mort de John, par un des « humiliés et offensés » qu'il défendait.
 
Nous sommes à Baker, une sinistre bourgade du Midwest ravagée et fossilisée. Les habitants de la ville recourent volontiers à un révisionnisme local pour expliquer les faits tragiques qui s’y sont déroulés, rejetant la faute sur le bouc émissaire idéal, à savoir John Kaltenbrunner, né à Baker mais décrit depuis les faits comme une espèce de monstre abject sorti d’on ne sait où : 

Il était impossible que John Kaltenbrunner ait été un fils du pays. Rien à Baker n’avait pu produire une telle abomination… Il ne pouvait pas être un intrus nourri en notre sein, il ne pouvait pas avoir surgi de la cave et être entré par la porte de derrière sans prévenir. Il devait venir d’autre part – ou d’autre chose.
 
Et les rumeurs s’en donneront à cœur joie : John l’avorton/rat, l’immigrant, le fasciste, l’homosexuel, l’immaculée conception. Tout plutôt que de reconnaître John comme l’un des leurs, tout pour se dédouaner et présenter la communauté sous un jour plus seyant.
 
Mais John, figure christique un peu particulière, avait aussi ses apôtres et ceux-ci veulent témoigner par l'entremise d'une version non frelatée, bien qu’impartiale, « des faits tels qu’ils se sont passés ».
 
Nous revenons donc au début des événements et découvrons ce monstre littéraire qu’est devenue pour moi ce John Kaltenbrunner, un concentré d’humanité jeté à la figure, un personnage putride issu de la fange et de la déchéance sociale et communautaire auquel il appartient (n'en déplaise aux révisionnistes de Baker) et qui donnera un bon coup de pied au cul mérité à sa communauté.
 
Quel feu d’artifice, quelle énergie, quelle puissance ! Ce roman énorme, foisonnant, grotesque et démesuré n’offre aucun répit pour reprendre son souffle. Il se dévore, tout simplement. Ce nouveau testament à la Tristan Egolf avec comme figure christique ce John Kaltenbrunner m’a laissée pantelante. 

Un gros coup de cœur ! 


vendredi 19 août 2011

Crimes of the Future de David Cronenberg


Je crains cependant, qu'en restant ici plus longtemps, mon équilibre si précieux s'immobilise de façon morbide.

Adrian Tripod


Je viens de visionner un des premiers films de David Cronenberg , à savoir Crimes of the Future (1970). Film pour le moins expérimental et surprenant, d’une lenteur exaspérante sans aucun dialogue direct mais une voix-off parcellaire noyée dans un environnement sonore bidouillé à partir de sons provenant des fonds marins assez irritants et terriblement vieillots (j’avais parfois l’impression de me retrouver dans un des vaisseaux Enterprise de Star Trek), joué par des acteurs qui pour la plupart n’en sont pas (et c’est rien de le dire) et un personnage principal androgyne au possible (Adrian Tripod, directeur de la « Maison de la Peau », joué par Ronald Mlodzik). 




En deux mots, nous ne savons pas très bien ni dans quel pays ni à quelle époque nous sommes mais le monde tel qu’il est nous est montré à travers le regard d’Adrian Tripod, qui se présente comme le directeur d’une clinique résidentielle initialement destinée aux patients riches traités pour des maladies de la peau pathologiquement graves causées par les produits de beauté. Il aurait pris la direction de l’institut suite à la disparition de l’ancien directeur, institut particulièrement déserté d’ailleurs suite aux décès des patients et personnels soignants, conséquence d’une terrible épidémie (hégémonie de la maladie de rouge qui fait penser à la menstruation lorsqu’il mentionne que cette maladie ne frappait d’abord que des femmes post pubertaires avant de se propager à l’ensemble de la population). « Cette oppression stimulante du rouge » conduisant à une certaine confusion pour ne pas dire une confusion certaine chez d’Adrian Tripod. Bon là, on commence à se poser des questions sur l’état mental du directeur de la « Maison de la Peau » : n’est-il pas en plein délire d’interprétation ? Ne serait-ce pas plutôt un asile de dingue tombé aux mains des derniers survivants ? Car si la qualité générale de la « maison » se détériore nous dit-il, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec son état psychologique qui semble rejoindre dangereusement cette pente déclinante.

Je n’en dirai pas plus mais sachez qu’on retrouve tous les thèmes privilégiés de l’auteur : société cloisonnée et déclinante, isolement et manque de repère, folie et schizophrénie, épidémies, sociétés occultes, mutations et transformations des corps, dégénérescences évolutives mais aussi génération de nouvelles formes de vie, sexualité déviante, maladies néo-vénériennes, violence, du Cronenberg pur jus et hyper condensé.




Je ne peux pas dire que j’ai aimé et apprécié ce film, trop underground à mon goût mais son intérêt est ailleurs : nous retrouvons toutes les obsessions de l’auteur, obsessions bien mieux traitées par la suite mais tout est là, en attente de germination. A réserver aux fans donc, mais c’est réellement surprenant de constater à quel point l’auteur trimballe ses thèmes de prédilection depuis le début. Et quel chemin parcouru depuis !

Réalisateur : David Cronenberg
Origines : Canada, Royaume-Uni, France
Public : Tout public
Année de production : 1999
Durée : 1h37

jeudi 21 juillet 2011

Trajets et itinéraires de l’oubli de Serge Brussolo

Quatrième de couverture
 
Une fois par semaine, Georges s'aventure dans le Musée, monstruosité architecturale et labyrinthe à la fois fascinant et cauchemardesque. Il passe de salle en salle, d'escalier en escalier, à la recherche de sa femme partie en faire l'inventaire trois ans plus tôt. Quels secrets lui a-t-elle cachés ? Quels mensonges l'ont conduite à se perdre sans espoir de retour dans ce gigantesque piège ?
 
Vous ne connaissez pas encore Serge Brussolo mais l’envie vous titille depuis longtemps de le lire ? Dans ce cas, je ne peux que vous conseiller de lire cette nouvelle assez représentative de son style : folie, démesure, perte des repères, claustrophobie, transformation des chairs, confusion identitaire, bref du Brussolo pur jus. Si ce très court récit constitue une excellente entrée en matière pour ceux qui ne connaissent pas encore l’auteur, les autres apprécieront à sa juste valeur cette nouvelle condensée mais au combien jubilatoire. Un régal ! 


 

mardi 28 juin 2011

Le coeur régulier de Olivier Adam

Quatrième de couverture

" Vu de loin on ne voit rien ", disait souvent Nathan. Depuis la mort de ce frère tant aimé, Sarah se sent de plus en plus étrangère à sa vie, jusque-là " si parfaite ". Le coeur en cavale, elle s'enfuit au Japon et se réfugie dans un petit village au pied des falaises. Nathan prétendait avoir trouvé la paix là-bas, auprès d'un certain Natsume. En revisitant les lieux d'élection de ce frère disparu, Sarah a l'espoir de se rapprocher, une dernière fois, de lui. Mais c'est sa propre histoire qu'elle va redécouvrir, à ses risques et périls. Grâce à une écriture qui fait toute la place à la sensation, à l'impression, au paysage aussi bien intérieur qu'extérieur, Olivier Adam décrit les plus infimes mouvements du coeur et pose les grandes questions qui dérangent.

Deuxième roman que je lis de cet auteur (après « A l’ abri de rien ») et mon enthousiasme est toujours aussi intact : avec des mots simples, Olivier Adam arrive comme toujours à nous rendre avec talent les égarements d’une femme arrivée à un certain point de non-retour dans sa vie, avec cette sensation de vide à la mort de son frère qu’il faudra tenter de réalimenter autrement, loin des conventions sociales, familiales et professionnelles. Un roman sur les fêlures, sur les concessions qui finissent par nous aliéner, un retour aux sources et un éloignement salvateur pour se retrouver, enfin. Un roman mélancolique et doucement remuant.


lundi 20 juin 2011

Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez

Quatrième de couverture

Une épopée vaste et multiple, un mythe haut en couleur plein de rêve et de réel. Histoire à la fois minutieuse et délirante d'une dynastie: la fondation, par l'ancêtre, d'un village sud-américain isolé du reste du monde; les grandes heures marquées par la magie et l'alchimie; la décadence; le déluge et la mort des animaux. Ce roman proliférant, merveilleux et doré comme une enluminure, est à sa façon un Quichotte sud-américain: même sens de la parodie, même rage d'écrire, même fête cyclique des soleils et des mots. Cent Ans de solitude compte parmi les chefs d'oeuvre de la littérature mondiale du XXe siècle. L'auteur a obtenu le prix Nobel de littérature en 1982.

Que dire sur l’un des romans les plus lus et les plus traduits de nos jours, représentatif par excellence du réalisme magique ? Chronique sur cent ans et six générations de la famille Buenda dans le village fictif de Macondo, nous assistons à une véritable épopée biblique (meurtre originel, exode, genèse, incestes, plaies, déluge, apocalypse) teintée de magie, de folie et de merveilleux. Ne cherchez surtout pas à vous y retrouver parmi les personnages : les mêmes noms, les mêmes caractères, les mêmes inclinaisons, les mêmes folies, les mêmes destins se transmettent de génération en génération. Nous sommes dans une boucle infernale, un temps cyclique dans lequel le temps revient toujours sur lui-même tel le serpent qui se mord la queue. Malédiction d’une lignée condamnée à cent ans de solitude, récit d’une prophétie qui se révèle au fur et à mesure, ce roman tient autant de l’odyssée mythique que de la parabole lyrique d’un conteur du temps jadis. A lire, sans aucun doute !


vendredi 17 juin 2011

Nord et Sud de Elizabeth Gaskell

Entre le Sud paisible, rural et conservateur et le Nord industriel, besogneux et âpre de l’Angleterre du XIXe siècle, la jeune Margaret Hale regagne le presbytère familial dans un village du sud de l'Angleterre après un long séjour à Londres chez sa tante. Pasteur de la petite paroisse rurale d’Helstone, le père de Margaret se met à douter de sa foi et décide de quitter son ministère pour des raisons de conscience. Il décide d’installer sa famille dans une ville industrielle du Nord afin de gagner sa vie en tant qu’enseignant. Margaret va devoir s'adapter à cette nouvelle existence dans ce monde industriel rude et poisseux. Elle méprise profondément cette classe de nouveaux riches sans éducation que sont les manufacturiers. La conscience sociale de Margaret s'éveille à travers les relations qu’elle noue avec certains ouvriers des filatures locales et les rapports difficiles qui l'opposent à leur patron, le sombre et redoutable John Thornton, également élève favori et ami de son père. L’hostilité affichée de Margaret à son égard n’empêchera pas John de tomber sous son charme…

Elizabeth Gaskell (1810-1865), fille et femme de pasteur, est une digne représentante de la littérature victorienne de son époque : le romantisme toujours présent se conjugue au réalisme social en pleine révolution industrielle. Réflexion sur la foi et l’engagement, évolution des mœurs et des relations sociales, exploitations ouvrières, misère grandissante dans les métropoles, puritanisme ambiant, féminisme émergeant, toutes les conventions du genre sont respectées dans ce roman fleuve paru initialement en vingt épisodes hebdomadaire dans une revue éditée par Charles Dickens, avant sa publication remaniée en 1855. Cette fresque sociale opposant le Nord industriel au Sud rural joue tout de même sur un registre plus subtil qu’une opposition nette et tranchée : si l’auteur nous parle avec compassion des mauvaises conditions de travail imposées aux ouvriers ainsi que de la vie précaire des femmes à cette époque, elle n’en oublie pas moins le point de vue des patrons, cette nouvelle classe sociale émergente de manufacturiers sans beaucoup d’instructions mais qui ont appris rapidement sur le tas en prenant parfois de grands risques pour développer leur entreprise malgré le regard dédaigneux des grandes familles aristocratiques. Et si l’histoire d’amour est cousue de fil blanc (un homme et une femme que tout oppose mais qui s’attirent irrémédiablement), les personnages secondaires ne manquent pas de sel et les différents points de vue sont bien rendus.

Nord et Sud est un roman victorien plaisant, qui se lit très vite malgré son épaisseur. A conseiller donc aux aficionados du genre.

lundi 6 juin 2011

Le curiste de Hermann Hesse

La paresse est mère de la psychologie – Nietzsche

Le charme de la station thermale, la tiédeur des bains et l’odeur des eaux sulfureuses de Baden-Baden permettent aux malades de soulager les uns une sciatique, les autres la goutte ou encore certains rhumatismes.

Hermann Hesse ne fait pas exception à la règle, mais il ne lui échappe pas que cette première cure à Baden-Baden constitue aussi un merveilleux observatoire pour analyser, disséquer et commenter le monde qui l’entoure ainsi que tous les petits faits et gestes des uns et des autres.

Hermann Hesse manie l’ironie et le sens de la description avec beaucoup d’adresse, on ne s’ennuie pas une seconde tant la succession des mises en tableaux se suivent et ne se ressemblent pas, la tragédie côtoyant souvent le comique des situations. Hermann Hesse élargit évidemment son horizon et n’hésite par à philosopher en portant son regard d’entomologiste vers une pensée plus universelle de la nature humaine.

A noter que Hermann Hesse gardera un excellent souvenir de ce court récit, à tel point qu'il n’hésitera pas à le considérer comme l’un de ses meilleurs livres. Un premier pas en ce qui me concerne dans l’œuvre de cet auteur, qui m’a forcément donnée envie d’aller plus loin.

Hermann Hesse est un romancier, poète, peintre et essayiste allemand. Il a obtenu le prix Goethe, le prix Bauernfeld et le Prix Nobel de littérature.

Thomas Mann dira de lui: « Dans cette génération littéraire qui a débuté avec moi, Hesse est celui qui m'est le plus proche et le plus cher. Il y a des écrits de lui et notamment Le curiste, que je lis et ressent comme "faisant partie de moi-même".».

lundi 18 avril 2011

Des adhésifs dans le monde moderne de Marina Lewycka

Quatrième de couverture

Georgie a le moral en berne : son mari vient de la quitter et elle a pris du retard pour rendre ses articles à la revue Les Adhésifs dans le monde moderne. Mais quand elle rencontre Mrs Shapiro, une vieille émigrée juive excentrique qui fourrage dans sa benne à ordures, une solide amitié se noue. Peu après, Mrs Shapiro est admise à l’hôpital et Georgie, attachée à sa nouvelle amie, prend en charge sa grande bâtisse en ruine. Flanquée de sept chats malodorants, de trois artisans incompétents et de deux agents immobiliers véreux, elle découvre le passé de Mrs Shapiro et de sa maison. Elle se rend compte combien les êtres humains sont soumis aux lois chimiques de l’adhésion, et combien ils sont accrochés les uns aux autres par des liens qui se tissent tout au long de la vie.

Des adhésifs dans le monde moderne est un roman qui porte bien son titre : des chats poisseux et collants, une Mrs Shapiro attachante mais pas très nette, des agents immobiliers tenaces et coriaces, des artisans empâtés mais bien incrustés, un mari endurci et déjà bien décroché, un fils un peu trop hermétique et un conflit israëlo-palestien toujours aussi englué. Récoler les morceaux et les pièces détachées, réparer les dégâts, rassembler les pièces du puzzle, Georgie semble bien être le liant qui apportera une certaine cohérence à tout ces éléments disparates. Si seulement la générosité, l’écoute, le pardon et la compassion pouvait exister en tube pour cimenter toutes ces aspérités et atténuer les angles. Car si l’attraction de surface est augmentée lorsqu’on accentue la rugosité des supports à coller, c’est aussi parce que nos failles, nos doutes et nos manques mutuels se révélent plus conciliateurs que nous ne pouvons le penser.

Un roman sympathique mais sans plus, tant les situations et les personnages restent en surface (vous me direz, rien de plus normal pour des adhésifs ). Un roman où l’humour ne fait jamais défaut et donc parfait pour se détendre et passer un moment agréable mais qui n’évite pour toujours certaines longueurs et quelques effets un peu trop appuyés. Idéal donc pour les vacances si on recherche une lecture légère et divertissante, même s'il évoque des sujets qui pourraient sembler de prime abord difficiles, tant le roman aborde des thématiques complexes (la création d'Israël, les conflits israëlo-palestien, la séparation, la vieillesse, les classes sociales, le spéculation, l'immigration, la deuxième guerre mondiale, la grande Bretagne sous Margaret Thatcher et la révolte des mineurs) avec humour et décalage salvateur.

Merci à Babelio et aux éditions Les Deux Terres de m’avoir fait parvenir ce roman en avant première.


dimanche 17 avril 2011

Elena et le roi détrôné de Claudia Piñeiro

Quatrième de couverture

Pour Elena, atteinte de la maladie de Parkinson, le temps se mesure en cachets de dopamine. Son cerveau n'est plus qu'un roi détrôné, incapable de se faire obéir sans ce capricieux émissaire. Quand on lui annonce l'invraisemblable suicide de sa fille, Rita, elle sait qu'il lui faut mener sa propre enquête, et qu'elle a besoin d'aide. Vingt ans plus tôt, elle a sauvé des griffes d'une faiseuse d'anges une jeune femme qui lui envoie chaque année un émouvant gage de bonheur familial. Alors, au prix d'un effort titanesque rythmé par ses pilules, elle traverse Buenos Aires pour demander à Isabel, qu'elle n'a jamais revue, d'acquitter sa dette : prêter son corps valide pour retrouver le meurtrier supposé. Mais le malentendu est abyssal entre les deux femmes. Qui doit payer et pour quoi ? Condition féminine, vulnérabilité, préjugés, ce roman utilise les ressorts de la littérature policière pour livrer une subtile réflexion sur la construction de l'identité et une troublante interrogation sur l'obstination à vouloir vivre, à tout prix.

Cela tenait de la gageure mais l’auteur a réussi haut la main à retenir l’attention vigilante de son lecteur en transformant le chemin de croix d’une femme d’une soixantaine d’années atteinte de la maladie de Parkinson en odyssée digne d’une tragédie grecque. Oubliez « les ressorts de la littérature policière » de la quatrième de couverture, nous sommes en plein roman psychologique dans lequel trois portraits de femmes se chevauchent, se juxtaposent, se croisent et se repoussent à la fois. Nous sommes au plus près de la maladie, nous sommes même en dedans, dans la tête et le corps d’Elena qui lui échappe, ce corps paralysé et agité à la fois, ce corps hors de contrôle et hors de portée, comme peuvent l’être certains de nos proches, que nous pensions connaître mais qui nous échappent toujours un peu. La maladie occupe la place centrale du roman mais sans pathos ni apitoiements : le ton est rude, sec, frontal et percutant, comme le sont les relations interpersonnelles pleines de non-dits, de colères, de rancunes et de frustrations mais aussi d’amour et d’affection.

Il n’est pas donné à tout le monde d’accepter l’inacceptable, nous atteignons tous un moment ou un autre notre limite supportable. Voici alors venu le temps où il n’y a plus aucun échappatoire possible, et nul ne sait d’avance comment il s’y révélera : avec hargne, pugnacité, avec pudeur, avec effroi, peur ou rejet.

« Un jour, n’importe lequel, le jour où votre fille m’a trouvée vomissant sur un trottoir, le jour où votre fille a été trouvée morte dans le clocher d’une église, ou même aujourd’hui, la vie nous met à l’épreuve, ce n’est plus une mise en scène sur un théâtre imaginaire. C’est le jour où se produit devant nous la véritable révélation, ce jour-là il n’y a plus de mensonge qui vaille. »

Ce qui me frappe avant tout après la lecture de ce roman est ce grand respect que je ressens envers ces trois femmes, qu’on se garde bien de juger tant nous ne savons pas nous-mêmes comment nous réagirions face à ces situations. La vie est un combat de tous les jours, âpre et cruel, et la rage de vivre se trouve parfois là où on ne l’attendait pas.

Un très bon roman et un auteur à suivre de très près.


vendredi 25 mars 2011

Laisse-moi entrer de John Ajvide Lindqvist

Une fois n’est pas coutume, plutôt que de vous citer la quatrième de couverture, peu explicite, je vais vous citer le synopsis du film Morse de Tomas Alfredson, film adapté du roman et qui le résume très bien.

Synopsis : Oskar est un adolescent fragile et marginal, totalement livré à lui-même et martyrisé par les garçons de sa classe. Pour tromper son ennui, il se réfugie au fond de la cour enneigée de son immeuble, et imagine des scènes de vengeance. Quand Eli s'installe avec son père sur le même pallier que lui, Oskar trouve enfin quelqu'un avec qui se lier d'amitié. Ne sortant que la nuit, et en t-shirt malgré le froid glacial, la jeune fille ne manque pas de l'intriguer... et son arrivée dans cette banlieue de Stockolm coïncide avec une série de morts sanglantes et de disparitions mystérieuses. Il n'en faut pas plus à Oskar pour comprendre : Eli est un vampire. Leur complicité n'en pâtira pas, au contraire...

« Laisse-moi entrer » est bien plus qu’un roman de vampires tant il sort des sentiers battus. Lorgnant sans peine vers l’étude sociale d’une banlieue triste et froide de Stockholm où le manque prévaut, c’est bien le manque d’attention des adultes et des parents, le manque de confiance et d’estime de soi, le manque de volonté, le manque de communication, le manque de plaisir, le manque d’amour, le manque de repères et de références familiales, le manque de perspectives d’avenir et le manque de moyens qui sont abordés ici, bien plus que le manque de sang nécessaire à la survie de l’enfant vampire. La peur n’est pas en reste : la peur de l’engagement mais aussi et avant tout la peur de la solitude conjuguée à la peur de l’autre.

L’auteur navigue toujours en eau trouble, que ce soit au niveau des sentiments qu’au niveau de l’identité et des tendances sexuelles, la prostitution enfantine et la pédophilie étant abordées sans complaisance. La violence est omniprésente, mais là aussi l’auteur brouille les pistes tant la cruauté n’est pas toujours là où l’on croit : entre celui qui tue pour vivre ou ceux qui torturent pour se défouler et tromper l’ennui, on ne sait plus très bien qui est le plus bestial ou le plus féroce dans cette histoire. L’adolescent entre dans le monde adulte par le biais de la violence semble nous dire John Ajvide Lindqvist, n’hésitant pas à pratiquer le sadisme et l’exploitation de l’autre tant le rapport de force est déterminant dans les échanges : être la proie ou le prédateur, tel est l'enjeu.

Un roman souvent glauque et cruel, un roman d’amour mais aussi un roman cafardeux et étouffant tant nous avons l’impression que les personnages sont tous enfermés dans leurs petites cases sans échappatoires possibles si ce n’est la fuite en avant. On gigote beaucoup sans pour autant avancer d’un pas, tout semble si désespérément cyclique et répétitif que seuls l’amour et le don de soi semblent encore constituer la bulle d’oxygène nécessaire à la survie, mais à quel prix…

Pour ceux qui ont vu l’excellent film Morse de Tomas Alfredson adapté du roman, n’hésitez pas à lire ce dernier tant il aborde d’autres thématiques « plus dérangeantes » non exploitées dans le film. Il contient plus de noirceurs (horreurs ?) mais apporte aussi des éclairages supplémentaires quant au passé et l’identité d’Eli.