samedi 25 septembre 2010

Récits de l'exil de Nina Berberova (volume II)

Quatrième de couverture
 
Qu'elle mette en scène (De cape et de larmes) le destin tragique de deux sœurs dont l'une voit son homme envoyé au goulag et l'autre part s'installer à Paris avec son père, qu'elle évoque (Le Roseau révolté) le destin de deux amants séparés par la guerre ou qu'elle raconte (Le Mal noir) l'exil vers Les Etats-Unis d'un Russe émigré dont la compagne est morte pendant un bombardement en France, Nina Berberova n'a de cesse qu'elle ne rende dans ses plus subtiles variations la détresse profonde de ces immigrés de la première génération, dépouillés de leur langue, de leurs affections, de leur territoire.  Avec le premier volume des Récits de l'exil, voici donc réunis dans Babel l'ensemble des " petits romans " écrits de 1934 à 1959 sur ce thème par la romancière russe.
 
Recueil lu une première fois en 1993, j’avais gardé le souvenir d’une lecture un peu languissante et très mélancolique, avec l’impression d’être passée à côté de quelque chose. Après l’avoir sagement remis sur mes étagères, je m’étais promise de le relire un jour, plus tard…
 
Et voilà que ce plus tard arrive 17 ans après. Et là, miracle, j’ai beaucoup aimé ! Je crois que les années passant, je suis devenue plus sensible à son style, un brin désuet mais à l’émotion contenue derrière une apparente sobriété des mots.
 
Récits sur l’exil, le renoncement, la rupture, l’éloignement, la déliquescence et la solitude, j’ai particulièrement apprécié Le Roseau révolté : on ne sait pas très bien où Berberova veut nous mener au cours de son récit mais elle nous y mène avec finesse et une telle élégance que nous arrivons à son terme encore tout songeur et méditatif. J’ai eu plus de mal avec Le mal noir, plus évaporé et plus diffus mais qui rend si bien ces moments de désillusions et de découragements, proches d’un à quoi bon périlleux lorsqu’on a le sentiment de porter en soi depuis toujours ce mal de l’exil quoi que l'on fasse et où que l'on aille.
 
Je suis très contente d’avoir enfin relu ce recueil et je n’ai qu’un seul regret, celui d’avoir attendu tout ce temps avant de revenir vers Nina Berberova mais peut-être que ce temps là était nécessaire, allez savoir !
 
[De cape et de larmes] Il y avait chez lui ce je ne sais quoi d'usé que l'on trouve chez les Russes, cette usure particulière née de l'exil, et qui ne pouvait finir qu'avec lui. N'y échappent que de rares bons vivants ou des voyous, les autres étant à jamais marqués de son sceau, à commencer par le dos luisant de leur veston, les aiselles malodorantes, et jusqu'aux manchettes trouées, aux cravates en fin de parcours, aux mouchoirs gris. 
 
[Le Roseau révolté] Je cours vers la sortie pour arriver jusqu'à cette porte, pour lui crier : Einar ! Adieu ! Sois heureux sur la terre ferme, ici nous nous noyons, nous allons bientôt couler, et même si nous en réchappons, nous ne serons plus les mêmes... 
 
[Le mal noir] Puisque même les morts ressuscitent parfois, alors pourquoi pas moi, qui suis vivant ?


dimanche 19 septembre 2010

Garden of love de Marcus Malte


Extrait 

Rappelez-vous combien dans ces moments-là l'être aimé, quel qu'il soit, est exceptionnel. Il est le centre du monde et le monde tout entier et la justification de votre propre existence. Enfin une raison valable de vivre. C'est énorme. Merci. Il faut s'y accrocher. Rappelez-vous combien celui qui aime est peu de chose. Combien il est solitaire, solitaire, solitaire, et fragile. Vulnérable. A tout instant il peut retourner au néant. 




Mon avis

Véritable kaléidoscope, effet de miroir, les thèmes récurrents de Garden of love sont le double et la dualité de l’être humain, sujets ô combien complexes et fascinants. Il faut juste accepter de ne pas tout comprendre pendant un bon bout de temps, l’auteur ne dévoilant certaines clés qu’au fur et à mesure du récit. Et quelle belle musicalité dans l'écriture. Un roman subtil qui scotche rapidement le lecteur. Mais à ne pas lire en dilettante : il demandera toute votre attention sous peine d’être complètement largué. C’est qu’il se mérite le bougre ! Un auteur à découvrir, assurément. En tout cas, c’est un coup de cœur en ce qui me concerne.

So I turn’d to the Garden of Love
That so many sweet flowers bore ;
And I saw it was filled with graves

Alors je me tournai vers le Jardin de l’Amour
Qui portait tant de fleurs exquises ;
Et je vis qu’il était rempli de tombes

Extrait d’une œuvre de William Blake (1757-1827)


Quatrième de couverture

Troublant, diabolique même, ce manuscrit qu’Alexandre Astrid reçoit par la poste ! Le titre : Garden of love. L’auteur : anonyme. Une provocation pour ce flic sur la touche, à la dérive, mais pas idiot pour autant. Loin de là. Il comprend vite qu’il s’agit de sa propre vie. Dévoyée. Dévoilée. Détruite. Voilà soudain Astrid renvoyé à ses plus douloureux et violents vertiges. Car l’auteur du texte brouille les pistes. Avec tant de perversion que s’ouvre un subtil jeu de manipulations, de peurs et de pleurs. 

Comme dans un impitoyable palais des glaces où s’affronteraient passé et présent, raison et folie, Garden of love est un roman palpitant, virtuose, peuplé de voix intimes qui susurrent à l’oreille confidences et mensonges, tentations et remords. Et tendent un redoutable piège. Avec un fier aplomb. 

 Grand Prix des lectrices de ELLE catégorie roman policier

 Garden of love de Marcus Malte, Éditions Zulma, 04/01/07, 320 pages


jeudi 16 septembre 2010

L'affaire Jane Eyre de Jasper Fforde

Quatrième de couverture

Dans le monde de Thursday Next, la littérature fait quasiment office de religion. A tel point qu'une brigade spéciale a dû être créée pour s'occuper d'affaires aussi essentielles que traquer les plagiats, découvrir la paternité des pièces de Shakespeare ou arrêter les revendeurs de faux manuscrits. Mais quand on a un père capable de traverser le temps et un oncle à l'origine des plus folles inventions, on a parfois envie d'un peu plus d'aventure.

Alors, lorsque Jane Eyre, l'héroïne du livre fétiche de Thursday, est kidnappée par Achéron Hadès, incarnation du mal en personne, la jeune détective décide de prendre les choses en main et de tout tenter pour sauver le roman de Charlotte Brontë d'une fin certaine...

Un mélange des genres totalement détonnant : policier, SF, fantastique, humour, politique, réflexion sur la littérature …

J’ai eu peur de frôler l’indigestion mais pas du tout, tant l’auteur arrive à faire tenir l’ensemble avec efficacité et originalité. Un roman totalement déjanté et halluciné, agréable à lire et très drôle qui plus est ! A éviter toutefois si vous ne goutez pas à l’uchronie, mais à consommer sans modération pour les autres.

D’autant plus que ce roman n’est que le premier d’une série qui compte jusqu’à présent cinq tomes au compteur (dont un sixième en préparation). Alors pourquoi bouder son plaisir ? En espérant tout de même que Jasper Fforde n’ait pas épuisé le filon au fil des parutions.

A noter qu’il ne faut pas avoir lu Jane Eyre pour savourer le plaisir de sa lecture. Il suffit que vous sachiez que la fin du roman « Jane Eyre » de Charlotte Brontë présenté dans « L'affaire Jane Eyre » de Jasper Fforde est sensiblement différente, mais ce n’est que pour mieux nous faire comprendre comment la version définitive - entendez par là celle que nous connaissons aujourd’hui - est parvenue jusqu'à nous, et ce pour notre plus grand plaisir (non mais vous imaginiez vraiment Jane Eyre délaisser Rochester pour ce pasteur St-John Rivers aussi gentil que falot ? N'est pas Rochester qui veut ! Matez-moi un peu cette force de caractères, cette élégance, ce regard ténébreux, ce port altier combiné à euh mhh je m"égare là ).