lundi 19 octobre 2009

Lait noir de Elif Shafak

Elif Shafak nous parle de la maternité dans ce récit autobiographique dans lequel l’auteur s’interroge quant à la possibilité de pouvoir combiner maternité et écriture, en évoquant le choix de vie de quelques grandes dames de la littérature telles que Virginia Woolf, Simone de Beauvoir, George Sand, Doris Lessing, Ursula K. Le Guin, Zelda Sayre Fitzgerald et d’autres poètes ou romancières turques moins connues sous nos latitudes. Un constat s’impose, il n’y a pas de réponse toute faite à cette question ni de lignes directrices majeures mais une multitude d’aménagements et d’accommodements divers, propre à chaque femme.

« Une règle est restée inchangée jusqu’à nos jours : les écrivains masculins sont avant tout perçus comme des écrivains, ensuite comme des hommes. Quant aux femmes écrivains, elles sont d’abord femmes, puis écrivains. »

La question de l’écriture et de la maternité sera également exploitée de manière originale et humoristique par le biais des ‘petites voix intérieures’ de l’auteur, chaque voix représentant une facette de sa personnalité et s’exprimant par l’intermédiaire d’une petite créature têtue et indocile : six avatars répondant aux doux noms de Miss Cynique lntello, Miss Ego Ambition, Miss Intelligence Pratique, Darne Derviche, Maman Gâteau et Miss Satin Volupté. Six dames qui tenteront, chacune à leur tour, de s’imposer aux autres avec tous les dégâts que cela occasionnera, notamment lors de l’épisode dans lequel Miss Cynique lntello et Miss Ego Ambition s’allieront pour fomenter un putsch afin de prendre la direction du Chœur des voix intérieures.

Mais l’amour en décidera autrement et un an et demi après son mariage, Elif Shafak se retrouve enceinte. Le récit prend à ce moment là la forme d’un journal de grossesse dans lequel l’auteur revient, semaine après semaine, sur son état mais aussi ses angoisses, pensées, peurs et appréhensions diverses, certaines expériences se révélant très ‘couleurs locales’ :


« 38e semaine Cette semaine, j’ai compris et dû admettre que le corps d’une femme enceinte ne lui appartient pas en propre mais appartient à la société. A toutes les femmes de la société, plus exactement. Chaque fois que je sors dans la rue, il faut toujours que de parfaites inconnues viennent me toucher mon ventre. J’ai beau vouloir m’esquiver, leurs mains tâtent et tapotent mon bidon.


[…] Dans la rue, dans le minibus, dans les ferrys, dans les cafés, je vois sans cesse des femmes venir vers moi, me poser des questions et y aller de leurs commentaires. Elles me font part de leurs propres expériences et de ce qu’elles ont entendu dire. Si par hasard l’une d’elles mange quelque chose à côté de moi, elle m’en offre aussitôt la moitié. J’ai beau refuser, rien n’y fait, elles insistent. Si bien que, toute la journée, je me promène en mangeant la moitié des sandwichs, des pâtisseries et des kokoreç des autres. Le fait que nous ne nous recroiserons probablement plus jamais n’a aucune espèce d’importance. En présence de la grossesse, il n’y a plus de formalités. Ni formalités ni intimité.»

Après l’accouchement, Elif Shafak connaîtra une longue dépression, plus connue sous le nom dépression postnatale ou dépression post-partum :

« L’après-accouchement est une mer si vaste que tu ne saurais dire de quel côté se trouve le rivage. Tu te réveilles et te retrouve sur un radeau au beau milieu de l’océan. Le bleu des eaux exerce un tel empire sur ton âme que tu penses ne plus jamais pouvoir rejoindre la civilisation ni jamais redevenir comme avant. »

Cette dépression post-partum sera également abordée de manière très pratique, par le biais d’un test (souffrez-vous de dépression après votre accouchement ? Pour le savoir, répondez à ce test) mais également par celui des différents traitements envisageables.

« Lait noir » de Elif Shafak est un récit très réussi qui traite en profondeur du sujet délicat de la maternité, sans pour autant être dénué d’humour et de légèreté. Une belle découverte en ce qui me concerne, n’ayant jamais lu l’auteur auparavant. Etant toujours très méfiante à l'égard des grands succès populaires, rencontrant rarement mes attentes, je n’ai toujours par lu ses deux romans les plus connus, à savoir « La Bâtarde d'Istanbul » et « Bonbon Palace », deux romans que je me déciderais peut-être à lire finalement, tant ce récit m’a plu.


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