samedi 31 octobre 2009

La vie aux aguets de William Boyd

Quatrième de couverture

Pendant la canicule de l’été 1976, dans la campagne oxonienne, une jeune femme rend visite à sa mère, dont les propos la désarçonnent. Que penser en effet quand votre mère si anglaise, si digne, vous annonce tout de go qu’elle n’est pas Sally Gilmartin mais Eva Delectorskaya, une émigrée russe et une ex-espionne de haut vol ? Et pourtant Ruth Gilmartin doit s’y résoudre : tout est vrai. Depuis trente et quelques années, pour tenter de retrouver la sécurité, voire sauver sa peau, Sally-Eva a échafaudé avec soin le plus vraisemblable des mensonges. Au fil de la lecture du mémoire que lui remet sa mère, Ruth voit sa vie basculer. À qui se fier ? À personne justement, comme le voulait la règle numéro un du séduisant et mystérieux Lucas Romer qui a recruté Eva en 1939 pour les services secrets britanniques. Mais Ruth comprend. Si Eva se découvre maintenant, c’est qu’elle a besoin de l’aide de sa fille pour accomplir sa dernière mission : régler une fois pour toutes son compte à un passé qui, du Nouveau-Mexique à un petit village de l’Oxfordshire, s’acharne à vouloir rattraper une vie, déjà depuis longtemps, habitée par la peur.
 
Les nombreux billets parus sur ce roman m’avaient donné envie de le lire, et grand bien m’en a fait. Quel bon roman d’espionnage que voilà : suspense, portraits intimistes, rythme bien mené, finesse et ton juste, faits historiques admirablement romancés, écriture fluide, un roman qu’on ne lâche plus dès les premières lignes et qui procure un très agréable moment de lecture, idéal pour se détendre sans être dénué d’intérêt dans la mesure où je ne connaissais pas les faits historiques évoqués (à savoir les manipulations diverses de l’opinion publique américaine par les services secrets britanniques – la BSC - dans les années 39-41 afin d’amener les Etats-Unis à rejoindre l’Angleterre dans le conflit européen en vue d’écourter la guerre et d’accélérer la victoire contre l’Allemagne nazie).

Autant j’avais été déçue à la lecture de son recueil de nouvelles paru en 2005 « La femme sur la plage avec un chien » (constituant de ce fait une très mauvaise entrée en matière dans l’œuvre de Boyd), autant je vous conseille « La vie aux aguets » du même auteur. Je suis donc plus que partante pour lire d’autres histoires de William Boyd mais vu qu’il semble capable du meilleur comme du pire, n’hésitez surtout pas à me conseiller l’un ou l’autre de ses romans que vous avez particulièrement apprécié.

jeudi 29 octobre 2009

Ce que je sais de Vera Candida de Véronique Ovaldé

Extrait

Les vies se transforment en trajectoire. Les oscillations, les hésitations, les choix contrariés, les déterminations familiales, le libre arbitre réduit comme peau de chagrin, les deux pas en avant trois pas en arrière sont tous gommés finalement pour ne laisser apparaître que le tracé d’une comète. C’est ainsi qu’Itxaga devint peu à peu ce qu’il est encore et que, de loin, on ne pouvait lui imaginer une autre vie que la sienne.

 
Mon avis

Véronique Ovaldé avait déjà retenu mon attention lors de la lecture de son roman Déloger l’animal, paru en 2005. Un sujet original à l’atmosphère étrange, mélancolique et onirique, le tout porté par une plume poétique et un auteur que j’allais suivre sans aucun doute. Et j'ai retrouvé avec plaisir la plume gracieuse de Véronique Ovaldé, avec cette touche originale de réalisme magique qui la distingue de la plupart des écrivains français contemporains. Avec ce roman sur la filiation et la transmission, la féminité et la maternité, la fragilité et la faiblesse des femmes mais aussi leur désir d’émancipation et leur rage de vivre malgré le poids du passé, Véronique Ovaldé m’a conquise définitivement !


Quatrième de couverture

Quelque part dans une Amérique du Sud imaginaire, trois femmes d'une même lignée semblent promises au même destin : enfanter une fille et ne pouvoir jamais révéler le nom du père. Elles se nomment Rose, Violette et Vera Candida. Elles sont toutes éprises de liberté mais enclines à la mélancolie, téméraires mais sujettes aux fatalités propres à leur sexe. Parmi elles, seule Vera Candida ose penser qu'un destin, cela se brise. Elle fuit l'île de Vatapuna dès sa quinzième année et part pour Lahomeria, où elle rêve d'une vie sans passé. Un certain Itxaga, journaliste à L'Indépendant, va grandement bouleverser cet espoir. Un ton d'une vitalité inouïe, un rythme proprement effréné et une écriture enchantée. C'est ce qu'il fallait pour donner à cette fable la portée d'une histoire universelle : l'histoire des femmes avec leurs hommes, des femmes avec leurs enfants. L'histoire de l'amour en somme, déplacée dans l'univers d'un conte tropical, où Véronique Ovaldé a rassemblé tous les thèmes - et les êtres - qui lui sont chers.



lundi 19 octobre 2009

Lait noir de Elif Shafak

Elif Shafak nous parle de la maternité dans ce récit autobiographique dans lequel l’auteur s’interroge quant à la possibilité de pouvoir combiner maternité et écriture, en évoquant le choix de vie de quelques grandes dames de la littérature telles que Virginia Woolf, Simone de Beauvoir, George Sand, Doris Lessing, Ursula K. Le Guin, Zelda Sayre Fitzgerald et d’autres poètes ou romancières turques moins connues sous nos latitudes. Un constat s’impose, il n’y a pas de réponse toute faite à cette question ni de lignes directrices majeures mais une multitude d’aménagements et d’accommodements divers, propre à chaque femme.

« Une règle est restée inchangée jusqu’à nos jours : les écrivains masculins sont avant tout perçus comme des écrivains, ensuite comme des hommes. Quant aux femmes écrivains, elles sont d’abord femmes, puis écrivains. »

La question de l’écriture et de la maternité sera également exploitée de manière originale et humoristique par le biais des ‘petites voix intérieures’ de l’auteur, chaque voix représentant une facette de sa personnalité et s’exprimant par l’intermédiaire d’une petite créature têtue et indocile : six avatars répondant aux doux noms de Miss Cynique lntello, Miss Ego Ambition, Miss Intelligence Pratique, Darne Derviche, Maman Gâteau et Miss Satin Volupté. Six dames qui tenteront, chacune à leur tour, de s’imposer aux autres avec tous les dégâts que cela occasionnera, notamment lors de l’épisode dans lequel Miss Cynique lntello et Miss Ego Ambition s’allieront pour fomenter un putsch afin de prendre la direction du Chœur des voix intérieures.

Mais l’amour en décidera autrement et un an et demi après son mariage, Elif Shafak se retrouve enceinte. Le récit prend à ce moment là la forme d’un journal de grossesse dans lequel l’auteur revient, semaine après semaine, sur son état mais aussi ses angoisses, pensées, peurs et appréhensions diverses, certaines expériences se révélant très ‘couleurs locales’ :


« 38e semaine Cette semaine, j’ai compris et dû admettre que le corps d’une femme enceinte ne lui appartient pas en propre mais appartient à la société. A toutes les femmes de la société, plus exactement. Chaque fois que je sors dans la rue, il faut toujours que de parfaites inconnues viennent me toucher mon ventre. J’ai beau vouloir m’esquiver, leurs mains tâtent et tapotent mon bidon.


[…] Dans la rue, dans le minibus, dans les ferrys, dans les cafés, je vois sans cesse des femmes venir vers moi, me poser des questions et y aller de leurs commentaires. Elles me font part de leurs propres expériences et de ce qu’elles ont entendu dire. Si par hasard l’une d’elles mange quelque chose à côté de moi, elle m’en offre aussitôt la moitié. J’ai beau refuser, rien n’y fait, elles insistent. Si bien que, toute la journée, je me promène en mangeant la moitié des sandwichs, des pâtisseries et des kokoreç des autres. Le fait que nous ne nous recroiserons probablement plus jamais n’a aucune espèce d’importance. En présence de la grossesse, il n’y a plus de formalités. Ni formalités ni intimité.»

Après l’accouchement, Elif Shafak connaîtra une longue dépression, plus connue sous le nom dépression postnatale ou dépression post-partum :

« L’après-accouchement est une mer si vaste que tu ne saurais dire de quel côté se trouve le rivage. Tu te réveilles et te retrouve sur un radeau au beau milieu de l’océan. Le bleu des eaux exerce un tel empire sur ton âme que tu penses ne plus jamais pouvoir rejoindre la civilisation ni jamais redevenir comme avant. »

Cette dépression post-partum sera également abordée de manière très pratique, par le biais d’un test (souffrez-vous de dépression après votre accouchement ? Pour le savoir, répondez à ce test) mais également par celui des différents traitements envisageables.

« Lait noir » de Elif Shafak est un récit très réussi qui traite en profondeur du sujet délicat de la maternité, sans pour autant être dénué d’humour et de légèreté. Une belle découverte en ce qui me concerne, n’ayant jamais lu l’auteur auparavant. Etant toujours très méfiante à l'égard des grands succès populaires, rencontrant rarement mes attentes, je n’ai toujours par lu ses deux romans les plus connus, à savoir « La Bâtarde d'Istanbul » et « Bonbon Palace », deux romans que je me déciderais peut-être à lire finalement, tant ce récit m’a plu.


mardi 13 octobre 2009

Jan Karski de Yannick Haenel

Si la figure centrale du livre est bien évidemment Jan Karski, ce récit s’articule également autour de plusieurs axes principaux tels que le devoir et la responsabilité du témoin, la question polonaise, l’extermination des juifs et la complicité passive des Alliés qui ‘savaient’.

Un récit découpé en trois parties qui se complètent et se juxtaposent afin de mieux approcher le parcours insensé d’un homme porteur d’un message ultime qu’il ne cessera de clamer à la surface du monde, un homme devenu malgré lui un personnage digne de la mythologie grecque, ne devant rien envier à cette pauvre Cassandre douée du don de prophétie mais condamnée à ne jamais être entendue.

La première partie reprend le témoignage de Jan Karski face à la caméra de Claude Lanzmann lors du tournage de La Shoah , la deuxième partie est un résumé de l’autobiographie de Jan Karski et la troisième partie est celle romancée par Yannick Haenel, chaque partie n’étant jamais redondante par rapport à l’autre mais offrant un éclairage différent et complémentaire.

Une évidence s’impose : la vie de Jan Karski est absolument incroyable, et le résumé de son autobiographie dans la deuxième partie n’est pas de trop pour nous aider à mieux comprendre et saisir le chemin parcouru par Jan Karski durant la guerre : prisonnier par les Soviétiques, remis aux mains des Allemands, il s’évade et rejoint la Résistance avant d’être repris par la Gestapo pour mieux s’évader une nouvelle fois et rejoindre définitivement la Résistance.

Jan Karski aborde souvent la question polonaise et son sentiment d’injustice lorsque les Alliés abandonne la Pologne, que ce soit lors du démantèlement du pays que lors de l’insurrection de Varsovie, laissant les Polonais se faire massacrer. Une Pologne continuellement abandonnée par l’Europe, par l’histoire, par la mémoire du temps. Pourtant, la Pologne n’a aucune leçon a recevoir de personne : son gouvernement n’a jamais pactisé avec l’occupant nazi et la résistance s’est mise en place dès l’invasion des communistes et des nazis.

Mais pendant que la Pologne vit une guerre d’occupation, le peuple juif polonais est confronté à la fin du monde et à l’extermination. Et c’est bien sa rencontre avec deux hommes juifs, un sioniste et un leader du Bund, qui changera à jamais sa destinée. Ces hommes ont besoin d’un témoin afin qu’il prévienne les Alliés que les Juifs d'Europe sont en train de se faire exterminer.

Jan Karski veut les aider : il fera un rapport à Londres et parlera du sort des juifs aux membres des gouvernements anglais et américains, qui - sans défense - ont besoin que les puissances alliés leur viennent en aide. Il ne se contentera pas d’être un simple porte-parole mais deviendra un témoin oculaire, de manière a être le plus convainquant possible aux yeux du monde pour demander leur intervention. Pour ce faire, ces deux hommes lui proposent de se rendre avec eux dans le ghetto de Varsovie, en y pénétrant par un passage secret qu’utilise la Résistance : une maison dont la porte d’entrée donne à l’extérieur du ghetto et dont la cave mène à l’intérieur.

« Cette maison, écrit Jan Karski, était devenue comme une version moderne du fleuve Styx qui reliait le monde des vivants avec le monde des morts. »

Pour délivrer son message, Jan Karski n’hésitera pas à traverser l'Europe en guerre, alerter les Anglais et rencontrer le président Roosevelt en Amérique. Un témoignage qui sera écouté mais jamais entendu par les élites, un témoignage qui ne changera rien, qui n’ébranlera pas la conscience du monde, qui n’empêchera pas l’extermination de la population juive d’Europe, alors que les Alliés ‘savaient’ mais préféraient faire semblant de ne pas savoir : jouer l’ignorance était bien plus facile pour justifier une non-intervention. Pour Jan Karski, ne rien vouloir savoir, c’était nier son indifférence au sort de milliers de juifs, ne rien vouloir savoir, c’était les laisser se faire exterminer afin d’éviter leur rapatriement, ne rien vouloir savoir, c’était enfin devenir complice passivement de cette barbarie.

« […] j’ai compris qu’il ne serait plus jamais possible d’alerter la « conscience du monde », comme me l’avaient demandé les deux hommes du ghetto de Varsovie ; j’ai compris que l’idée même de « conscience du monde » n’existerait plus. C’était fini, le monde entrait dans une époque où la destruction ne trouverait bientôt plus d’obstacle, parce que plus personne ne trouverait rentable de s’opposer à ce qui détruit. »

La lecture de « Jan Karski » de Yannick Haenel m’a demandée du temps, non pas que le récit soit long mais parce que j’avais besoin d’interrompre ma lecture pour reprendre mon souffle. Je pourrais d’ailleurs vous en parler encore et encore, citer de nombreux autres passages sensibles, prenants, émouvants, percutants. Lisez-le plutôt !


« Lorsque une fois dans sa vie on a été porteur d’un message, on l’est pour toujours. Au moment où vous fermez l’œil, à ce moment précis où le monde visible se retire, où vous êtes enfin disponible, les phrases surgissent. Alors la nuit et le jour se mélangent, à chaque instant le crépuscule se confond avec l’aube, et les phrases en profitent. La voix tremble un peu, comme une petite flamme. On y croit à peine, on a du mal à la concevoir, mais elle est bien vivante, et quand elle se met en mouvement, ça fait une brève incandescence, quelque chose de timide et rapide à la fois, d’incontestable, qui passe par le chas d’une aiguille. Vous reconnaissez tout de suite la voix des deux hommes du ghetto de Varsovie : comme tous les messagers, vous êtes devenu le message. Jamais un seul jour de ma vie je n’ai réussi à penser à autre chose qu’au message du ghetto de Varsovie, toute ma vie je n’ai fait que penser à ça : penser au message de Varsovie, et lorsque je croyais penser à autre chose, c’est au message de Varsovie que je pensais.» [p.118-119]

samedi 10 octobre 2009

L'Héritage d’Esther de Sándor Márai

Quatrième de couverture

Publié en 1939, L'Héritage d’Esther rassemble en un bref récit tout ce qui fait l'art de Márai. Retirée dans une maison qui menace ruine, engourdie dans une solitude qui la protège, une femme déjà vieillissante voit soudain ressurgir le seul homme qu'elle a aimé et qui lui a tout pris, ou presque, avant de disparaître vingt ans plus tôt. La confrontation entre ces deux êtres complexes - Esther la sage, ignorante de ses propres abîmes et Lajos l'insaisissable, séducteur et escroc - est l'occasion d'un de ces face à face où l'auteur des Braises et de La Conversation de Bolzano excelle. La tension dramatique extrême, l'atmosphère somnambulique, l'écriture sobre et précise font de ce court roman un véritable chef-d'œuvre.

« L’héritage d’Esther » reprend beaucoup de thèmes déjà développés dans son roman « Les braises » : univers bourgeois en déconfiture, délabrement et ruine imminentes, nostalgie et fin d’une époque sans perspective d’avenir, huit clos étouffant dans une ancienne demeure qui résiste tant bien que mal à l’usure du temps, présence d’une vieille nourrice silencieuse mais fidèle, résurgence du passé et nécessité d’achever ce qui a commencé vingt ans plus tôt, sans pour autant envisager une quelconque réparation de ce qui fut.

Alors que nous étions assis sur le banc de pierre, je compris brusquement – et de façon désespérante – qu’il vient un moment où l’on ne peut plus rien « réparer ». On vit, on rapièce, on rafistole, on construit et quelquefois, on gâche son existence ; puis, avec le temps, on s’aperçoit que cette vie, telle qu’elle s’est constituée de hasards et d’erreurs, est parfaitement inaltérable. Lajos n’y pouvait plus rien. Lorsque quelqu’un surgit du passé pour annoncer, avec des trémolos dans la voix, qu’il veut « tout réparer », on ne peut que le plaindre et rire de ses intentions. Le temps avait déjà tout « réparé » à sa façon particulière, qui est la seule possible. 

Je suis toujours sous le charme de l’écriture de Sándor Márai. J’aime aussi beaucoup l'ambiance désenchantée et crépusculaire de ses romans, même si j’ai eu un peu de mal à accepter le sentiment de culpabilité et le sacrifice consentant d’Esther malgré sa sagacité et sa lucidité devant les faits. L’important pour Sándor Márai est visiblement d’aller au bout de son destin, au-delà de la raison, avec le courage d’affronter et d’accepter ses inclinaisons obscures et déraisonnables, en prenant tous les risques dont celui de se perdre…


L'Héritage d’Esther de Sándor Márai, Traducteurs Georges Kassai et Zéno Bianu, Le Livre de Poche, 2003, 155 pages

1939 pour l'édition originale.

dimanche 4 octobre 2009

L'anneau maudit de Selma Lagerlöf

Selma Lagerlöf (1858-1940) fut la première femme honorée du Prix Nobel de Littérature (1909). Auteur suédois, son œuvre la plus connue n’est autre que Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède. Peut-être certains d’entre vous se souviendront mieux de l’adaptation en dessin animé japonais « Nils Holgersson », réalisé dans les années 80 par Hisayuki TORIUMI (le petit enfant sur le dos d’un jar qui accompagne les oies sauvages dans leur migration à travers la Suède jusqu'en Laponie, c’est Nils).

Une grande dame de la littérature que j’avais envie de découvrir depuis pas mal de temps, raison pour laquelle je n’ai pas hésité longtemps à me procurer l’excellent conte « L’anneau maudit » lorsque l’occasion s’est présentée.

Ce court récit fantastique nous plonge dans la Suède de roi batailleur Charles XII, plus précisément dans la région du Värmlan, région natale de Selma Lagerlöf qui connaît bien son histoire et les légendes qui la nourrissent.

Le roi Charles XII décide d’offrir, en reconnaissance des loyaux services de son fidèle officier, un anneau d’Or et d’Agathe au général Bengt Löwensköld. Le général Bengt Löwensköld en sera si honoré qu’il exigera d’être enterré, à sa mort, l’anneau au doigt. De quoi attirer malheureusement quelques convoitises…

Selma Lagerlöf reprend à son compte le mythe de l’anneau maudit qui passera de main en main avec tous les accidents, calamités et souffrances qui s’en suivront, feu Bengt Löwensköld ou plutôt son fantôme ne pouvant retrouver le repos qu’au jour où il récupérera l’anneau au doigt.

La lecture de ce court récit suffit à comprendre pourquoi Selma Lagerlöf est un grand écrivain : dès la lecture des premières phrases, vous êtes transportés dans les temps anciens d’une région lointaine avec le sentiment d’écouter l’histoire d’un conte au coin d’un feu de cheminée. Une grande conteuse que Selma Lagerlöf, qui nous livre avec des mots simples mais si convaincants un petit bijou qui mérite vraiment le détour !
 
« La peur » : je sais bien qu’autrefois beaucoup de personnes semblaient ignorer le sens de ce mot. J’ai entendu dire que bien des gens aimaient à se promener sur la glace tout juste formée de la nuit et ne connaissaient pas de plus grand plaisir que de conduire un traîneau mené par des chevaux à un train d’enfer. Certains même ne craignaient point de jouer aux cartes avec le sergent Ahlegård, bien qu’il fût de notoriété publique que son adresse au jeu lui faisait toujours gagner la partie. Je connais aussi quelques gaillards intrépides qui n’avaient pas peur d’entreprendre un voyage un vendredi ou bien de se mettre à table quand le couvert était mis pour treize personnes. Mais je me demande si un seul d’entre eux aurait eu le courage de passer à son doigt l’anneau maudit qui avait appartenu au vieux général Löwensköld, de Hedeby.