dimanche 8 février 2009

L’homme qui tombe de Don DeLillo

« Ce n'était plus une rue mais un monde, un espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit. Il marchait vers le nord dans les gravats et la boue et des gens le dépassaient en courant, avec des serviettes de toilette contre la figure ou des vestes par-dessus la tête. Ils pressaient des mouchoirs sur leur bouche. Ils avaient des chaussures à la main, une femme avec une chaussure dans chaque main, qui le dépassait en courant. Ils couraient et ils tombaient, pour certains, désorientés et maladroits, avec les débris qui tombaient autour d'eux, et il y avait des gens qui se réfugiaient sous des voitures.
Le grondement était encore dans l'air, le fracas de la chute. Voilà ce qu'était le monde à présent. La fumée et la cendre s'engouffraient dans les rues, explosaient au coin des rues, des ondes sismiques de fumée, avec des ramures de papier, des feuillets standards au bord coupant, qui planaient, qui voltigeaient, des choses d'un autre monde dans le linceul du matin. »
 
Ainsi débute ce roman, en cette matinée du 11 septembre 2001.  Il y a, dans la main de Keith, masqué de cendres, criblé d'éclats de verre et revenu d'entre les morts dans l'appartement de son ex-femme, Lianne, une mallette qui ne lui appartient pas et que sa main de rescapé serre, mécaniquement, de toutes ses forces. Tandis que Keith se rapproche et s'éloigne d'une autre femme rencontrée dans l'enfer des tours, avant de décider de finir sa vie assis devant une table de jeu dans le désert de Las Vegas, Lianne dérive entre l'inquiétude que lui causent l'attitude farouche et réticente de son propre fils, l'atelier d'écriture pour malades d'alzheimer dont elle a la charge, l'Homme qui Tombe, ce performeur que la police traque, la santé de sa mère qui vit depuis des années une incompréhensible liaison avec un mystérieux Européen, marchand d'art toujours entre deux avions, entre deux univers...
 
Récits éclatés et fragmentés à l’image des verres brisés des tours jumelles ou du monde en morceaux  apparu après les attentats du 11 septembre, Don DeLillo imbrique l’histoire de ses personnages qui se télescopent dans le temps avec complexité et habilité, demandant au lecteur de la patience et de la concentration sous peine de se perdre avec les protagonistes dans le néant et la confusion du monde. J’ai aimé ce parallélisme entre  la construction complexe de son récit faite de vies brisées et morcelées et la déstructuration conséquente des attentats du 11 septembre, j’ai aimé la distance imposée par son écriture froide et désincarnée. Mais le manque de linéarité du récit et la confusion qui s’en suit risque aussi d’être  dommageable à long terme : je ne suis pas certaine d’en retenir grand-chose dans quelques mois si ce n’est cette sensation de morcellement, d’anéantissement, de perte d’identité et d’absence de repères. Ce qui n’est déjà pas si mal finalement. Avec en prime une envie d’aller voir plus loin en compagnie de l’auteur. 


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