mercredi 14 janvier 2009

Titus d’enfer de Mervyn Peake

Mervyn Peake (1911 – 1968) est un poète et écrivain anglais qui se fit connaître de son vivant comme l’un des plus grands caricaturistes de son temps. Il faudra attendre son décès pour que l’on reconnaisse en lui le romancier génial, digne héritier de Rabelais, de Swift et des frères Grimm. Le rapprochement le plus convaincant demeure toutefois la référence à Italo Calvino du Baron Perché et du Chevalier inexistant.
 
Il est bien difficile de définir l’œuvre de Mervyn Peake. Elle est tellement atypique qu’elle se dérobe à toute simplification ou définition sommaire. Farce, récits fantastiques où se mêlent l’humour, le grotesque et l’inquiétant, lieux étranges et gigantesques, folie des personnages, tous aussi hallucinés les uns que les autres, il est bien difficile d’attribuer une étiquette toute faite à tant d’originalité. Le plus connu de ses écrits étant « La trilogie de Gormenghast », « Titus d’enfer » constituant le premier volet de cette trilogie. Autant vous le dire tout de suite, en lisant « Titus d’enfer », j’avais l’impression d’avoir un OVNI entre les mains tellement son roman est original et bien construit, le tout porté par une écriture des plus limpides. Rien d’étonnant à ce que Mervyn Peake soit repris comme l'une des influences majeures de la fantasy anglo-saxonne.
 
Pourtant le sujet est d’une grande simplicité. Nous sommes dans le château de Gormenghast, un château aux dimensions effroyables et monumentales, véritable labyrinthe dans lequel, simples lecteurs que nous sommes, nous nous perdons bien volontiers. Gormenghast, personnage à part entière du roman, est aussi et avant tout la propriété des comtes d’Enfer, noble lignée présente dans les lieux depuis des siècles.
 
« Gormenghast, du moins la masse centrale de la pierre d’origine, aurait eu dans l’ensemble une architecture assez majestueuse, si les murs extérieurs n’avaient été cernés par une lèpre de demeures minables.  Ces masures grimpaient le long de la pente, empiétant l’une sur l’autre jusqu’aux remparts du château, où les plus secrètes s’incrustaient dans les épaisses murailles comme des arapèdes sur un rocher.  Une ancienne loi permettait à ces taudis de vivre dans une intimité glaciale avec la forteresse qui les surplombait. Sur les toits irréguliers s’allongeaient, saison après saison, les ombres des contreforts rongés par le temps, des tourelles altières et brisées, et surtout la grande ombre de la tour des Silex.»
 
Lord Tombal, l’actuel maître des lieux et le 76ème comte d'Enfer, y vit avec son épouse Gertrude et sa fille Fuchsia. Lady Gertrude est une femme étrange et colossale, isolée dans ses appartements et vivant entourée de ses chats blancs et perpétuellement accompagnée d’une multitude d’oiseaux dans ses moindres déplacements.  Fushia d’Enfer est une jeune fille solitaire et taciturne d’environ une quinzaine d’années, aux cheveux noirs et sauvages. Cora et Clarisse d’Enfer, les deux sœurs jumelles de Lord Tombal, deux idiotes aussi molles d’esprit que de corps, vivent également à ses côtés.
 
La seule occupation de cette famille consiste à accomplir scrupuleusement des rites fixés par une tradition ancestrale, en dehors de quoi ils sont totalement livrés à eux-mêmes, ou devrais-je dire à leur folie individuelle. Ces rituels, aussi absurdes qu’étranges et dont la signification échappe depuis longtemps aux membres de la famille,  sont présidés par le maître de cérémonies Grisamer, véritable encyclopédie vivante des rites ancestraux et garant depuis des années de la bonne tenue de ces derniers. Nous retrouvons également autour de la famille un grand nombre de personnes au service des comtes d’Enfer : Craclosse, le valais de Lord Tombal, aussi osseux que cadavérique, chacun de ses pas d’araignée s’annonçant par de multiples craquements des rotules  - le docteur Salprune, au timbre de voix insupportable et au rire d’hyène et sa sœur Irma, aux os protubérants et maigre comme une patte de cigogne - la vieille et si menue Nannie Glu, la gouvernante de Fushia et Abiatha Lenflure,  le chef de cuisine  pataugeant dans sa graisse, sans oublier ses nombreux marmitons.
 
Auprès du château habite dans des huttes un peuple d’artistes très pauvres qui sculptent le bois.  Il n’y a aucun rapport entre ces gens misérables et les membres du château, si ce n’est une fois par an, le premier matin de juin plus exactement, « quand toute la population des taudis d’argile avait l’autorisation de pénétrer dans le domaine, pour exposer les sculptures de bois auxquelles elle avait travaillé toute l’année ». Chaque année, les trois plus belles sculptures sont exposées au château et il y a une compétition féroce pour être parmi les heureux élus.
 
Il se fait que tout Gormenghast est aujourd’hui en liesse. C’est qu’une heureuse et surprenante nouvelle, que plus personne n’osait d’ailleurs espérer, se répand de bouche à oreille au château : le 77ème comte d'Enfer vient de naître, digne descendant mâle de la lignée !
 
Mais ce n’est assurément pas le seul événement essentiel de la vie de Gormenghast qui se déroule ce jour là. A l’insu de tous, le jeune Finelame, marmiton du chef de cuisine Lenflure, qui n’en peut plus de la cruauté de son chef bien nommé ni de la petitesse des cuisines du château en regard de ses ambitions démesurées, s’enfuit en suivant les pas du fidèle serviteur Craclosse  qui vient de quitter les cuisines pour s’en aller rejoindre son maître. C’est que le château est un véritable dédale, et Craclosse, qui ignore à ce moment là être le fil d’Ariane du jeune Finelame, va l’amener bien malgré lui auprès de membres de la lignée d’Enfer.  Ce jeune homme de 17 ans, doté d’une grande intelligent, est également aussi manipulateur que rusé. Son objectif ? S’introduire dans la vie des comtes d’Enfer, et ce par n’importe quel moyen, n’excluant ni la tromperie ni les basses manœuvres pour arriver à ses fins. Mais est-ce vraiment un bien pour la vie de Gormenghast de compter Finelame dans ses rangs ?
 
La présence de cet opportuniste ne signe-t-elle pas plutôt le début de la fin d’une lignée en déliquescence qui se contente de suivre scrupuleusement des rituels sans queue ni tête auxquels ils n’y comprennent plus rien ?
 
L’heure de la continuité, signée par l’arrivée du jeune Titus,  ne se retrouverait-elle pas en concurrence avec l’heure du changement et des bouleversements, signée par la venue du jeune Finelame ?
 
Allégorie de la fin d’un empire, ce roman est aussi déroutant qu’intriguant.
Mention spéciale pour la description des personnages aussi loufoques les uns que les autres, tellement bien décrits que nous les visualisons sans peine, à tel point qu’ils nous semblent plus vrais que nature malgré leurs dingueries.
 
Si vous aimez les ambiances baroques et médiévales, les romans originaux où l’imagination se fait la part belle, le tout porté par une très belle plume, alors n’hésitez pas et venez rejoindre Gormenghast, vous ne serez pas déçu ! Mervyn Peake possède un style à nul autre pareil qu’il bien serait dommage de ne pas s’y plonger.

 

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