mardi 25 novembre 2008

Central Europe de William T. Vollmann


« Central Europe » est une fresque historique colossale de l'Europe centrale de 1914 à 1975, mais pas seulement… véritable monstre littéraire aux multiples tentacules,  sorte de Léviathan sorti droit des enfers de la guerre et du pouvoir totalitaire, tout semble hors norme dans ce roman : le nombre de thématiques - la grande histoire, la petite histoire, l’universel, l’intime, la guerre, les batailles, les stratégies militaires, l’art, la politique, l’amour, la souffrance, le totalitarisme, le nazisme, la shoah - le nombre d’heures passées à la recherche biographique - le nombre de personnages - le nombre de chapitres - l’épaisseur du volume, une œuvre de plus de 800 pages pour se confronter à la guerre, plus précisément au front de l’Est de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique staliniste durant la deuxième guerre mondiale.
 
Pour ce faire, l’auteur met en scène une trentaine de récits enchevêtrés, tel un chef d’orchestre jouant une symphonie monumentale composée d’autant de mouvements que de personnages émaillant son récit, chacun renvoyant à l’autre, parfois entrant en résonance, parfois en dissonance, mais évoluant toujours dans un même ensemble harmonieux. La plupart des personnages ont réellement existé, dont beaucoup que je ne connaissais absolument pas et qui ont connu un tel destin que je me demande encore comment j’ai pu passer à côté d’eux, trop concentrée sans doute sur la grande histoire pour ne pas prendre le temps de découvrir ces visages pris dans la tourmente de la guerre, au destin incroyable et souvent tragique.
 
Malgré la multitude des personnages composant ce roman, l’auteur William T. Vollmann s’attache  à  un personnage récurrent, Dimitri Chostakovitch, célèbre compositeur russe et  l'un des plus grands musiciens de l'époque moderne,  un artiste qui vécu sous la botte du totalitarisme et qui côtoya la guerre lors du siège de la ville de Leningrad.  L’auteur disserte également beaucoup sur l’art et le principe créatif, le rapport qu’il entretient avec les événements temporels et la gestation des œuvres sous le joug de la dictature par l’entremise du compositeur Dimitri Chostakovitch  mais aussi du cinéaste soviétique Roman Karmen, la femme sculpteur – graveur – dessinatrice allemande Käthe Kollwitz ou la poétesse russe Anna  Akhmatova.
 
J’ai beaucoup apprécié le fait que Vollmann donne souvent la parole aux femmes pour embrasser l'histoire : Fanny Kaplan, une militante du Parti socialiste-révolutionnaire russe qui tenta d'assassiner Lénine, Nadejda Kroupskaïa , l'épouse de Lenine, les artistes Käthe Kollwitz, Anna Akhmatova ou  Marina Tsvetaeva.  Un autre visage singulier hante les pages de ce roman, celui de Zoïa Kosmodemianskaïa, figure emblématique de l’union soviétique qui fut pendue et mutilée par les nazis à l'âge de 18 ans pour avoir incendié des étables. Devenue une véritable héroïne soviétique après son exécution, elle aurait  déclaré à ses bourreaux avant sa mise à mort : " Vous ne pourrez pas pendre cent-quatre-vingt-dix- millions de Soviétiques." La photo de cette jeune femme morte, le corps abandonné dans la neige, gelé et aux seins mutilés m’a toujours bouleversée et je n’ai pas été surprise d’apprendre que Jonathan Littell avait eu l'idée d'écrire son roman « Les Bienveillantes » en voyant cette photographie.
 
L’aspect militaire n’est pas en reste, car entre le funambule Hitler et le réaliste Staline, il y a le pacte germano-soviétique l’opération Barberousse, le siège de Leningrad, la bataille de Stalingrad, la bataille de Koursk… et l’histoire incroyable et étonnante de deux militaires, le général russe Vlassov et le  commandant allemand Paulus.
 
Hommage aux victimes du totalitarisme nazi et soviétique, dédié à Danilo Kis, l'écrivain d' « Un tombeau pour Boris Davidovitch » (élégie pour les martyrs du stalinisme),  « Central Europe » est un roman très ambitieux, sans doute même un peu trop… roman historique mais aussi lyrique, roman toujours exigeant et parfois indigeste, qui demande beaucoup de temps, que ce soit à la lecture que pour les recherches effectuées sur le net. Mais quel roman !
 
Central Europe a obtenu le National Book Award en 2005. 

vendredi 21 novembre 2008

Les bienveillantes de Jonathan Littell

Je suis sortie de ce roman, après 3 semaines de lecture, avec un sentiment de nausée très prononcé : je voulais en finir au plus vite et prendre de la distance avec ce qu'il m'insufflait, j'étais d'ailleurs si pressée de le terminer que j'ai sauté plusieurs pages les derniers jours. Ce livre témoigne d'un énorme travail de documentation, et le romans traverse l'histoire du nazisme sur une période aussi large, allant du début du nazisme jusqu'aux bombardements sur Berlin. Évidemment, cela rend le parcours de Maximilian Aue assez invraisemblable, tant on imagine mal une personne se trouvant sur tous les fronts et ayant suivi toutes les étapes les plus importantes du nazisme, mais cela a le mérite de nous offrir une vue d'ensemble assez complète des événements. Ce que j'ai aimé dans ce roman, c'est que J. Littell démonte notre croyance en une mécanique bien huilée et trop parfaite du nazisme, en nous révélant à quel point c'était en réalité un fameux foutoir : les exécutions se faisaient fréquemment dans un désordre et une désorganisation complètes. Ce qui m'a déplu, c'est que Maximilian Aue nous est décrit comme un véritable malade mental. Or je ne vois pas pourquoi J. Littell nous présente un tel personnage : les psychopathes sont déviants par nature, que cette déviance s'exprime librement en cas de guerre n'est guère surprenant ni très instructif. Les personnes psychorigides qui se conforment à l'autorité sans réflexions individuelles et qui se soumettent au supérieur hiérarchique pour "bien se faire voir" et gravir les échelons sont en fait bien plus fréquentes, alors qu'elles sont considérées comme normales mais toutes aussi dangereuses en cas de guerre.

J'ajouterai que si J. Littell est très à l'aise avec l'aspect historique du récit, je trouve que la partie plus romancée, celle qui entoure la personnalité de Maximilian Aue, est la moins convaincante du roman. De ce point de vue, j'ai préféré de loin les romans de M. Tournier "Le roi des Aulnes" ou de Robert Merle "La mort est mon métier".

Pour terminer ce commentaire, je ne sais pas si j'ai aimé ou non ce roman, mais j'ai la certitude de ne jamais le relire.

jeudi 20 novembre 2008

Gemma Bovery de Posy Simmonds (BD)

Keisha et moi-même aimerions promouvoir une auteure qui vaut vraiment la peine d’être connue, j’ai nommé Madame Posy Simmonds. Ceci d’autant plus qu’elle est actuellement sous les feux de l’actualité avec la sortie de Tamara Drewe, que je n’ai pas encore eu la chance d’approcher de près, ce qui ne saurait tarder.
 
Mais pour l’heure, il s’agit avant tout de vous présenter sa précédente œuvre traduite en français, Gemma Bovery, parue en octobre 2000. Gemma Bovery n'est pas tout à fait une BD ni un roman. Jean-Claude Fromental, le cotraducteur, parle plutôt d'un roman graphique : mélange de texte, d’illustrations et de bande dessinée dû au talent de Posy Simmonds, illustratrice britannique renommée.

Gemma Bovery est une jeune femme anglaise qui, après une déception amoureuse, s'attache à un brave homme affublé d'une ex-femme horripilante dont il a deux enfants.

Gemma n'en peut plus de cette encombrante « ex » et décide, avec son compagnon devenu entre-temps son mari Charlie, de partir s'installer dans une fermette rurale en Normandie.

Très vite, Gemma, londonienne de naissance, se lasse de la campagne, de ce petit village, de ce boulanger qui la matte sans cesse lorsqu'elle va chercher son pain. Le boulanger du village, Joubert, est en effet un peu amoureux de Gemma. C'est d'ailleurs par l'intermédiaire de ce personnage que Posy Simmonds nous narre les événements. Gemma s'ennuie, Gemma prend un jeune amant, Gemma se fera abandonnée, Gemma va déprimer… sous l'œil attentif de Joubert et le désarroi de son mari Charlie.

Si Gemma Bovery vous fait penser à Emma Bovary de Flaubert, ce n’est pas vraiment une coïncidence, je dirai même plus, c’est totalement intentionnel. Mais attention ! Notre Gemma n’est pas Emma du siècle passé mais bien une jeune femme moderne du temps présent. Sous le couvert d’un humour caustique et d’une analyse acérée, Posy Simmonds se livre à une critique mordante de notre époque. Nous passons ainsi des yuppies londoniens (l'« ex » de Gemma, un critique gastronomique très snob) à ses voisins anglais en Normandie qui ne sont que d'imbéciles parvenus en n'oubliant pas l'ex-femme qui ne pense qu'à abaisser et soutirer de l'argent à Charlie et l'amant de Gemma qui n'est autre qu'un jeune étudiant noble mais sans le sou. D'autres personnages jalonnent ainsi le récit, aussi bien croqués les uns que les autres. Une belle étude de mœurs et une intéressante adaptation contemporaine du roman « Madame Bovary » de Gustave Flaubert. A découvrir si ce n’est déjà fait ! 



samedi 15 novembre 2008

Le sec et l’humide de Jonathan Littell

« Le sec et l’humide : une brève incursion en territoire fasciste » est un texte qui fut rédigé en 2002, en pleine écriture des « Bienveillantes », qui reçu le Prix Goncourt et le Prix du roman de l'Académie française en 2006.

Cet essai est le fruit de la rencontre de deux documents écrits à des périodes différentes :

1° Le livre « Mӓnnerphantasien » (« Fantames mâles ») de Klaus Theweleit. Il s’agit d’une étude datant de 1977 sur les Freikorps, milice allemande créée après la première guerre mondiale pour défendre la frontière de l’Allemagne de l’Est contre une éventuelle invasion russe mais également pour contrer les tentatives de révolution dans le pays, notamment communistes et socialistes. Pour informations, les Freikorps furent dissous en 1921, et si certains d’entre eux rejoignirent la milice d’Hitler, la plupart se sont engagés dans la milice de droite des Stahlhelm.

A partir de l’étude des récits de guerre, journaux et mémoires des miliciens allemands du début des années 20, Klaus Theweleit se livre à une approche inédite du fascisme : en analysant la structure mentale de la personnalité fasciste, il en viendra à considérer le fasciste non pas comme le fruit d’une idéologie mais comme la traduction d’états corporels dévastateurs, qu’il nomme le « mâle-soldat ».

2° Le livre « La campagne de Russie » écrit par Léon Degrelle pendant son exil en Espagne et publié en 1949. Léon Degrelle est un fasciste belge fondateur du mouvement Rex, qui se rapprochera du national-socialisme et collaborera étroitement avec l’occupant allemand. Il combattra sur le front de l’Est avec la 28e division SS Wallonie et terminera la guerre en tant que SS-Obersturmbannführer et Volksführer der Wallonen.

Abondamment illustré, cet essai commence par un historique du fasciste belge Léon Degrelle, revenant sur son parcours depuis la fondation du mouvement Rex jusqu’à son exil en Espagne en 1945, où il vécut près de quarante années.

Jonathan Littell s’applique à étudier le texte du fasciste Léon Degrelle avec la grille d’analyse proposée par Klaus Thewelet. Aussi, malgré le fait que Léon Degrelle soit de vingt à trente ans plus jeune que les miliciens étudiés par Klaus Theweleit et qu’il appartienne à une autre culture, Jonathan Littell y retrouve les mêmes comportements et champs lexicaux, ordonnés autour « de la peur panique de la dissolution des limites corporelles ».

Il retrouve donc, en analysant le discours de Degrelle à partir des clés données dans le livre de Klaus Theweleit, cette opposition binaire « du dur et du mou », qui fait immanquablement penser à l’anthropologue Claude Lévi-Strauss qui écrivit en son temps « Le cru et le cuit ».

Le « mou » dont il est question ici fait référence à la boue, la fange, le visqueux, la marée rouge, la peur de tout ce qui liquéfie le corps, tout ce mou auquel le mâle-soldat s’oppose en recourant à sa verticalité, sa virilité, sa droiture, sa pureté, sa carapace corporelle endurcie afin d’éviter toutes menaces de fragmentations, lui qui possède ce corps « pas-encore-complètement-né » du fasciste (dixit Klaus Theweleit).

On peut voir le « Le sec et l’humide » comme une sorte d’analyse des mots et des discours du bourreau fasciste, qui fut sans nul doute bien utile pour construire la langage de son personnage principal Maximilian Aue des « Bienveillantes ».

Jonathan Littell n’évite pas non plus quelques écarts de langage dans ce texte, qui n’apportent franchement rien, si ce n’est de la provocation gratuite pas vraiment des plus gracieuses.


Pour votre information, la couverture du livre est une photo de Léon Degrelle au combat en Ukraine (1941-42).


Du même auteur, à lire sur ce blog :

* Les bienveillantes de Jonathan Littell

vendredi 14 novembre 2008

Debout les morts de Fred Vargas

Quatrième de couverture

Un matin, la cantatrice Sophia Siméonidis découvre, dans son jardin, un arbre qu'elle ne connait pas. Un hêtre. Qui l'a planté là ? Pourquoi ? Pierre, son mari, n'en a que faire. Mais la cantatrice, elle, s'inquiète, en perd le sommeil, finit par demander à ses voisins, trois jeunes types un peu déjantés, de creuser sous l'arbre, pour voir si... Quelques semaines plus tard, Sophia disparaît tandis qu'on retrouve un cadavre calciné. Est-ce le sien ? La police enquête, Les voisins aussi. Sophia, ils l'aimaient bien. L'étrange apparition du hêtre n'en devient que plus énigmatique.

Quelques chiffres : « Debout les morts » est le quatrième roman de l’auteur, mon troisième Fred Vargas et ma première infidélité au commissaire Adamsberg !

A l’instar des trois mousquetaires, ce n’est pas trois mais quatre personnages qui prendront le relais du fameux commissaire : un trio d’historiens appelés les Evangélistes - Mathias spécialiste de la préhistoire, Marc du Moyen Âge et Lucien de la première guerre mondiale – et l’oncle de l’un d’eux, le vieux Vandoosler, un ancien flic mis sur la touche car un brin trop ripou. Le tout cohabitant dans la même maison délabrée, située dans le voisinage de la cantatrice Sophia Siméonidis, disparue mystérieusement. Ni une ni deux, nos joyeux comparses vont se transformer en improbables détectives prêts à tout pour découvrir le meurtrier.

Ce roman ne déroge pas à la règle, nous y retrouvons le ton et le style Fred Vargas : l’essentiel n’est pas du côté de l’intrigue mais du côté des personnages excentriques et originaux, de l’humour, des situations cocasses, des méthodes d'investigation surprenantes et de l’ambiance déjantée. Une lecture pour se faire plaisir, tout simplement…

Prix du polar de la ville du Mans 1995, prix mystère de la critique 1996, prix Duncan Lawrie International Dagger 2007 qui récompense le meilleur roman policier étranger paru en Grande-Bretagne.


samedi 8 novembre 2008

Best Love Rosie de Nuala O’Faolain

Décédée cette année à l’âge de 68 ans à Dublin, l’écrivaine irlandaise Nuala O’Faolain est l’auteur de cinq romans dont le dernier « Best Love Rosie ». Elle a notamment obtenu le prix Fémina du roman étranger pour L’histoire de Chicago May, chroniqué sur ce blog.

Récits d’inspiration le plus souvent biographique et autobiographique, Nuala O’Faolain se dévoile beaucoup dans ses romans, que ce soit au sujet du poids des traditions et de la religion dans la très catholique Irlande, de son alcoolisme, de sa sexualité, de sa défense des droits de la femme, de la nécessité de s'exiler de son Irlande bigote tant houspillée pour revenir malgré tout à son Irlande tant aimée aussi. En définitive, Nuala O’Faolain nous parle avant tout des problèmes auxquels sont confrontés les femmes irlandaises de sa génération, nées au début des années quarante, tout en demeurant très actuelle dans ses questionnements intimes et ses tâtonnements, doutes et craintes diverses. Un exercice d’introspection sans fards dans lequel de nombreuses femmes se reconnaissent sans difficultés. « Best Love Rosie » ne fait pas exception à la règle.

Rosie, la cinquantaine bien entamée et quasi célibataire depuis que son amant a le moral en berne, décide de tirer avantage de sa vie d’indépendante sans mari ni enfant et de la fin de son contrat pour rentrer en Irlande après avoir vécu une vie bien remplie aux quatre coins du monde. Sa vieille tante Min, cette femme qui l’a élevée depuis la mort de sa mère et qui s’enfonce jour après jour un peu plus dans l’alcool et dans la dépression, a plus que jamais besoin de ses soins et de toute son attention. Mais le retour au bercail est douloureux : les souvenirs ressurgissent, la solitude afflige, les doutes émergent. Pour échapper à la morosité, Rosie décide d’échafauder un projet de manuel de développement personnel pour cinquantenaires avec l’aide de son vieil ami Markey. Aujourd'hui libraire à Seattle, Markey fut l’homme pour lequel elle avait éprouvé tant d’amour... elle ne comprit d’ailleurs jamais pourquoi celui-ci n’avait jamais répondu à ses attentes jusqu’au jour où elle découvre qu’il préfère les garçons ! Rosie a toujours eu un don pour les amours impossibles…

Rosie, qui aimerait discuter de son projet avec Markey, décide de se rendre pour un court séjour en Amérique, tout en ayant placé auparavant sa tante Min dans une maison de retraite jusqu’à son retour. Mais une surprise de taille l’attend lorsqu’elle apprend que Min, qui a fait une fugue, s’est mise en tête de la rejoindre à Manhattan. Très vite les rôles s’inversent : la vielle Min, qui se sent galvanisée par sa découverte de l’Amérique, décide de rester dans la patrie de l’oncle Sam afin d’y trouver du travail au noir et des logements insalubres en compagnie de ses nouveaux amis, clandestins tout comme elle. Alors que Min trouve une seconde jeunesse en Amérique, Rosie rentre plus seule que jamais en Irlande…

C’est avec beaucoup d’humour, de sensibilité et de tendresse que Nuala O’Faolain nous présente l’histoire de ces deux femmes, l’une en fin de vie qui décide de brûler ses dernières cartouches dans un feu de joie, l’autre dans un tournant de sa vie de femme, en pleine crise de l’âge mûre que la vieillesse angoisse, l’âge où le corps décline alors qu’il est toujours aussi désirant tout en étant de moins en moins désirable.

On peut présenter le thème majeur du roman comme celui de la difficulté d’être une femme et de vieillir tout en demeurant séduisante et désirable, mais ce ne serait pas lui faire justice en n’allant pas au-delà, puisqu’on y parle également d’exil, de nostalgie, de solitude, du sentiment maternel, des tourments de l’âme, d’amitié, du manque, des hommes…

« Je répétais à mon cœur : Cesse de brûler, cesse de me faire mal, calme-toi, il n’y a aucun remède à ton angoisse et tes regrets.  Je savais que le sexe était bon pour le moral et que je pouvais m’estimer heureuse, parce que beaucoup de célibataires – et sans doute de personnes mariées – de mon âge n’avaient que trop peu d’occasions de faire l’amour.  Et j’appréciais pleinement ma chance.  Mais le Temps s’était invité dans le lit avec nous – mon ventre mou sur la hanche anguleuse de Leo, son bras osseux autour de moi.  Et, à présent, la dure leçon du Temps sur l’impuissance d’autrui à apaiser notre souffrance se rappelait à moi.  Je ne pouvais pas dire à Leo : Désole-toi avec moi que les amants vieillissent.  Je ne pouvais pas lui dire : Me retrouver si près de toi me fait sentir encore plus cruellement ma solitude ordinaire.
 
Chacun doit grandir sans importuner les autres.
 
C’était mon problème.  Moi seule trimballait le souvenir de ce qui avait été – la gloire du monde tel que je l’imaginais quand j’étais jeune, quand la passion semblait me faire accéder à un immense royaume, quand, parfois, j’avais l’impression de quitter la Terre pour m’élancer dans l’univers et y scintiller de tout mon être.  Quand je ne me posais aucune question sur moi-même.  Quand j’avais foi en tout.
 
Oh, rendez moi cela ! ai-je supplié la pièce obscure et silencieuse.  Oh, rendez-le moi ! Que je puisse revivre ma vie avec ce que je sais maintenant ! Rendez-moi un commencement ! »

Il y a décidément beaucoup de chaleur humaine qui se dégagent de ces pages, sans oublier des personnages pour lesquels, nous lecteurs, ne pouvons que ressentir beaucoup d’empathie et de sympathie.
Une belle humanité pour un dernier au revoir… quant à moi, je vous dis à bientôt Madame Nuala O’Faolain, dans la mesure où je compte bien de pas en rester là puisqu’il me reste encore à découvrir trois de vos romans.

mercredi 5 novembre 2008

Les déferlantes de Claudie Gallay

La lecture de ce roman vient au meilleur moment, celui où j’éprouve le besoin d’une lecture plus accessible. Effectivement, entre le dernier Pynchon, que j’ai fini par abandonner, et le roman colossal « Central Europe » de William-T Vollmann, toujours en cours de lecture, je n’ai décidément pas choisi la facilité ces dernières semaines. Aussi, lorsque je suis tombée sur « Les déferlantes » à la bibliothèque, roman que je guettais depuis sa sortie et précédé d’une excellente réputation, je n’ai pas hésité une seconde à l’emprunter.

Me voilà donc transportée dans le Cotentin, à la pointe de la Hague, dans un village où vit quelques hommes aux caractères aussi rudes que le climat qui y sévit. La narratrice, une femme d’une quarantaine d’années, vient d’y trouver refuge depuis quelques mois.

« J’étais arrivée ici à l’automne, avec les oies sauvages, ça faisait un peu plus de six mois. Je travaillais pour le Centre ornithologique de Caen. J’observais les oiseaux, je les comptais, j’avais passé les deux mois d’hivers à étudier le comportement des cormorans les jours de grands froids. »

Arpenter les landes, observer les falaises et leurs oiseaux migrateurs dans ce lieu âpre et désolé, travail aussi répétitif que solitaire qui répond parfaitement à ses besoins quotidiens : en deuil de son compagnon, décédé après plusieurs mois de souffrance, elle se sent depuis lors habitée par un sentiment de perte et de manque absolu.

« Des mois que j’étais sans toi. Le manque absorbait tout. Il absorbait même le temps. Jusqu’à l’image de toi.»

Si elle est mal payée pour ce travail, elle est néanmoins logée dans un ancien hôtel :

« Cent mètres après l’auberge, juste le quai à traverser, une maison bâtie en bout de route, presque dans la mer. Avec rien autour. Les jours de tempête, seulement le déluge. Les gens d’ici disaient qu’il fallait être fou pour habiter dans un tel endroit. Ils lui avaient donné ce nom, le Griffue, à cause des bruits d’ongles que faisaient les branches des tamaris en grinçant contre les volets. »

Les gens d’ici, ce n’est rien d’autres qu’une poignée d’hommes : il y a les colocataires Raphaël le sculpteur et sa sœur Morgane, dont Max - le benêt du village - est fou amoureux, il y a Lili la tenancière du bar et la Mère, il y a Théo l’ancien gardien de phare, père de Lili et séparé de la Mère, sans oublier la vieille Nan, que tout le monde craint et dit être à moitié folle et Monsieur Anselme, fervent admirateur de Jacques Prévert, qu’il fréquentait lorsque ce dernier habitait dans sa maison à Omonville-la-Petite dans la Manche, ultime demeure du célèbre poète qui y sera enterré lorsqu’il mourut des suites d'un cancer du poumon.
Pour eux, elle est la Horsain, l’étrangère, celle qui n’était pas née de là.

« Pour toi, j’étais Ténébreuse. Ce nom dans ta bouche, tu m’appelais comme ça. Tu disais que ça venait de mes yeux et de tout ce qui les hantait. »

Lambert fait son apparition un jour de grande tempête, où le ciel bas et sombre, le bruit du vent assourdissant et les vagues noires sous la violence s’emmêlent comme des corps, ces déferlantes qui inondent le quai comme si la mer remontée sur les terres avait tout englouti. Sur la plage dévastée, la vieille Nan croit reconnaître en lui le visage d'un certain Michel. D'autres, au village, ont pour lui des regards étranges. Cet homme intrigue la Horsain : ne serait-il pas le fils Perack, cet enfant qui avait perdu sa famille, noyée la nuit où leur voilier s’est retourné en revenant d’Aurigny, il y a maintenant quarante ans. Ce fils Perack qui en veut depuis à la mer. Mais n’en veut-il pas plutôt aux hommes ? Plus particulièrement à Théo, l’ancien gardien de phare, qu’il accuse d’avoir éteint momentanément la lanterne du phare la nuit du drame. Tous semblent avoir quelque chose à taire, et la Horsain va s’employer à trouver les réponses aux questions qui ne cessent de la hanter depuis l’apparition de Lambert.

Le poids du secret, le deuil, la perte, le manque, la solitude, l’absence et les amours perdus, le tout porté par une écriture âpre qui va à l’essentiel. Voilà un roman qui n’usurpe pas sa réputation ! Même si l’intrigue se dévoile trop aisément à mi-parcours du chemin, je n’ai pas boudé mon plaisir de lecture dans ce huis clos au bout du monde de la pointe du Cotentin.

« Les vents qui soufflent les jours de tempête sont comme des tourbillons de damnés. On dit qu’ils sont des âmes mauvaises qui s’engouffrent à l’intérieur des maisons pour y prendre ce qu’on leur doit. On, c’est-à-dire ceux qui restent, les vivants. »



lundi 3 novembre 2008

La cité des Jarres de Arnaldur Indridason

Un nouveau cadavre est retrouvé à Reykjavik. L'inspecteur Erlendur est de mauvaise humeur : encore un de ces meurtres typiquement islandais, un " truc bête et méchant " qui fait perdre son temps à la police... Des photos pornographiques retrouvées chez la victime révèlent une affaire vieille de quarante ans. Et le conduisent tout droit à la " cité des Jarres ", une abominable collection de bocaux renfermant des organes...

N’ayant pas lu la série dans l’ordre de parution des romans, La cité de Jarres est la première enquête de l’inspecteur Erlendur mais ma troisième lecture en ce qui me concerne. Une conclusion s’impose à la lecture de mes trois romans d’Indridason : je suis accro à l’ambiance particulière de ces polars venus du nord, au ton sombre, rude et froid.

Ce premier roman, où il est question de viol, de filiation, d’hérédité et de recherches génétiques, est de bonne facture et ne m’a pas déçue, même si je l’ai trouvé un peu en deçà des autres romans déjà lus : l’approche psychologique y est moins poussée et le dénouement sans trop de surprises. Mais nous sommes bien chez l’inspecteur Erlendur : la victime est plus du coté du meurtrier que celui de la personne assassinée, l’enquête en cours sert souvent de prétexte à dénouer les fils d’événements qui se sont passés bien avant le meurtre proprement dit et l’élucidation de disparitions anciennes y tient toujours une place prépondérante.

On y parle également d’actualité scientifique islandaise et de débats éthiques qui ont agité le pays lorsque la société DeCode Genetics, filiale d’un puissant groupe pharmaceutique, a acheté pour une somme rondelette au gouvernement islandais les données génétiques de toute la population en vue d’effectuer des recherches de grande ampleur sur les maladies génétiques héréditaires, la population insulaire constituant un groupe cible idéal pour ce type de recherche du fait de sa grande homogénéité.

'La Cité des jarres' a remporté le prix Clé de verre du roman noir scandinave, le prix Mystère de la critique 2006 et celui du coeur noir. Il a également été adapté au cinéma sous le titre Jar City.