vendredi 13 juin 2008

L'homme aux cercles bleus de Fred Vargas


Quatrième de couverture

"Victor, mauvais sort, que fais-tu dehors ?" Depuis quatre mois, cette phrase accompagne des cercles bleus qui surgissent la nuit, tracés à la craie sur les trottoirs de Paris. Au centre de ces cercles, prisonniers, un débris, un déchet, un objet perdu : trombone, bougie, pince à épiler, patte de pigeon... Le phénomène fait les délices des journalistes et de quelques psychiatres qui théorisent : un maniaque, un joueur. Le commissaire Adamsberg, lui, ne rit pas. Ces cercles et leur contenu hétéroclite sont de mauvais augure. Il le sait, il le sent : bientôt, de l'anodin saugrenu on passera au tragique. Il n'a pas tort. Un matin, c'est le cadavre d'une femme égorgée que l'on retrouve au milieu d'un de ces cercles bleus.

Ca y est, j’ai lu enfin mon premier Vargas ! Et j’ai commencé sans le savoir par le roman dans lequel apparaît pour la première fois le commissaire Adamsberg et de son adjoint Danglard.

« L’homme aux cercles bleus » se lit d’une traite. J’aime particulièrement sa façon de croquer les personnages, tous aussi hétéroclites les uns que les autres, avec une mention spéciale pour Adamsberg et la mère de Camille, Mathilde. Sans oublier la ville de Paris, personnage à part entière du roman. Et l’humour présent n’est vraiment pas pour me déplaire non plus.

Le seul bémol – mais pas des moindres – concerne l’intrigue qui devient de plus en plus emberlificotée au fil des pages. J’avais déjà eu cette même impression à la vision du film Pars vite et reviens tard adapté par Régis Wargnier. Je retrouve également une certaine similitude des procédés dans les deux romans : les cercles bleus tracés sur les trottoirs de l’un, les grands 4 inversés tracés sur les portes de l’autre. Le dénouement invraisemblable présent dans les deux récits grâce à l’intuition hors pair du commissaire laisse également songeur.

Si l’auteure excelle donc dans la composition des personnages et l’élaboration de l’intrigue initiale, la construction et le dénouement semblent plus laborieux si pas un peu farfelu. Mais peut-être est-ce l’effet recherché ?

Malgré ce bémol, je n’ai pas boudé mon plaisir à la lecture de ce polar et je suis partante pour poursuivre ma découverte de l’auteure.

Un grand merci à Larcane pour avoir eu la gentillesse de m’avoir prêté ce roman alors qu’il ne l’avait pas encore lu lui-même. Avec un peu de chance, tu viendras peut-être poster un petit commentaire lorsque tu l’auras terminé ;-)





jeudi 12 juin 2008

Un été à Key West d'Alison Lurie


Wilkie Walker, brillant naturaliste de 70 ans un peu misanthrope, plus à l’aise lorsqu’il s’agit de défendre la cause des animaux en voie de disparition que de participer à une pendaison crémaillère, est persuadé que sa dernière heure est arrivée.  Ne voulant rien dire à sa charmante épouse, il se renferme de plus en plus sur lui-même tout en imaginant les scénarios possibles pour abréger ses souffrances qui ne manqueront pas d’avoir lieu lorsqu’il parviendra à la phase terminale de son hypothétique cancer.
 
Sa tendre épouse Jenny, 25 ans plus jeune que lui, est une femme douce et dévouée qui a consacré toute sa vie à son illustre époux.  Comme elle s’inquiète de plus en plus de son humeur ronchonne, elle arrive péniblement à le persuader de l’utilité de faire un séjour à Key West, région ensoleillée qui, espère-t-elle, le déridera un peu.
 
Peine perdue, Wilkie Walker semble de plus en plus inaccessible.  Plutôt que de se tourner les pouces et d’attendre passivement que Wilkie revienne à de meilleurs dispositions, Jenny décide – fait rarissime – de se prendre en main et de s’ouvrir au monde en s'impliquant dans la vie locale des habitants de Key West, très… « couleurs locales », justement.
 
Alison Lurie excelle dans le registre de la critique sociale qui pique là où il faut.
Raison pour laquelle la plus européenne des romancières américaines est souvent considérée comme le pendant féminin de l’auteur britannique David Lodge.
 
Un été à Key West ne déroge pas à la règle : paradis pour retraités et millionnaires, Alison Lurie s’en donne à cœur joie pour explorer la faune constituée par les habitants excentriques de la Floride sans oublier les touristes retraités semestriels venus pour fuir les rigueurs hivernales des territoires du Nord.
 
Elle nous croque avec gourmandise les différents personnages sur un mode doux-amer qui n’exclu pas un certain désenchantement.
 
Un été à Key West est donc une lecture agréable où l’humour caustique se fait la part belle.
 
Extrait p.221 – A propos de Barbie Mumpson, par Wilkie sur son lit d’hôpital.
 
« Il trouva que, par en dessous et de côté, comme il la voyait à présent, Barbie Mumpson, de même que le lamantin auquel elle lui avait fait penser, était ce que beaucoup de gens qualifierait de « mignonne » ou d’« adorable », plus que de puérile et grassouillette.  Le lamatin, bien sûr, n’était pas grassouillet ; c’était seulement sa forme aérodynamique et sa couche de graisse isolante qui lui donnaient cet aspect.  Mais il en allait de même pour les phoques et les pingouins, dont les photos couvraient les murs des musées et des magasins de découverte naturelle.  Avec un bon tour de main et les bonnes illustrations – des dessins, pas des photos -, le lamantin pouvait probablement paraître mignon, et même adorable. »

lundi 9 juin 2008

Danseur de Colum McCann

« La magie d'une danse, jeune homme, est quelque chose
de purement accidentel.
Ironie du sort, il te faudra travailler plus dur que tous
les autres pour que cet accident arrive.
Et, s'il arrive, tu peux être sûr que
c'est la seule chose de ta vie qui ne se reproduira pas.
C'est pour certains une condition malheureuse,
mais pour d'autres la seule extase.
Peut-être, dans ce cas, devrais-tu oublier tout ce que je t'ai dit
et ne te rappeler que ceci :
la vraie beauté de l'existence est qu'elle peut,
parfois, se montrer. »
 
En 1944, dans un hôpital soviétique, Rudik, six ans, danse pour son premier public : aucun des soldats mutilés n'oubliera cet instant éblouissant... Dès lors, ce fils de paysan sait. Il sait qu'il ne reculera devant rien : mentir à sa mère, braver la colère de son père, endurer brimades et humiliations. Pour danser comme il le doit, il ira même jusqu'à s'exiler à jamais. Travailleur acharné, obsédé de beauté et de perfection, Rudik fascinera tous ceux qui croiseront sa route, leur offrant le sentiment d'avoir côtoyé un ange ou un démon, un monstre d'excès et de passion. Dans tous les cas, un vrai génie.
 
L'auteur nous raconte l'histoire de Rudolf Noureev par l’intermédiaire de divers acteurs de sa vie : sa sœur, Serguei et Anna (qui le forma à Oufa et lui fit découvrir la danse et la musique), leur fille qui l’hébergea à Leningrad, ses amis, sa complice de scène et de coulisses la grande Margot Fonteyn, ses amants, sa gouvernante ou des anonymes fascinés par le talent du jeune garçon de l’époque… avec en filigrane une partie de l’histoire contemporaine soviétique dont certains aspects de la guerre froide pour bien comprendre le contexte dans lequel évolua Noureev et les raisons de son exil.
 
Cette façon de passer de la vision et du ressenti d'une personne à une autre ne m'a jamais perturbée, que du contraire, c’est un peu comme si l’auteur pressentait bien que cette multiplication des différents points de vues était plus que nécessaire pour ne fusse qu’effleurer la personnalité complexe de Rudolf Noureev.
 
L’auteur ne nous épargne rien, et certainement pas les penchants les plus obscurs du danseur, qui étaient nombreux.  Véritablement ange et démon à la fois, Rudolf Noureev savait se montrer aussi tendre et généreux que coléreux et égoïste.  Noureev n’était pas une personne de compromis, il naviguait sans cesse entre les extrêmes, ce qui le conduisit au plus haut sommet de son art mais également à une mort prématurée (il mourut du sida en 1993). Et pourtant, malgré ses dérives, ses débauches, malgré son intempérance, Rudolf Noureev demeure à tout jamais un être fascinant. On ne peut en effet que balayer d’un revers de la main tous ses débordements pour ne retenir que l’énergie de cet homme hors norme. Comme si nous comprenions qu’il fallait bien toute cette excessivité là pour combler ce gouffre sans fond que semblait laisser le vide de son exil.
 
Vous l’aurez compris, la lecture de cette biographie romancée de Rudolf Noureev ou l’inaccessible étoile fut pour moi un véritablement coup de cœur ! Je n'ai jamais lu de biographie de Noureev mais je pense sans me tromper qu'aucune ne parviendra à lui donner chair comme l’a fait Colum McCann. Percutant et bouleversant, un roman à la hauteur du personnage. 


dimanche 8 juin 2008

Le Château d'Otrante d'Horace Walpole


Je poursuis comme prévu mes lectures gothiques avec « Le Château d’Otrante ».
 
L'auteur Horace Walpole (1717-1797), précurseur du roman noir, marquera de son influence de nombreux écrivains tels que Charles Robert Maturin  (Melmoth), Matthew Gregory Lewis (Le moine) et Ann Radcliffe (Les mystères d’Udolphe).
 
« Le Château d’Otrante », paru en 1764, connaîtra dès sa publication un très grand succès. Si nous le lisons encore à notre époque, c’est avant tout en tant que roman précurseur du genre gothique et non pour ses qualités littéraires. Véritable melting pot, le récit oscille tellement entre la fable, le roman de chevalerie, le conte de fée et le drame shakespearien, qu’il finit par ressemble à la farce pure et simple.
 
La farce étant par ailleurs présente dès le début du roman, lorsque le jeune prince trouvera la mort le jour de son mariage, écrasé et presque enseveli sous un gigantesque heaume cent fois plus grand qu’aucun casque jamais fait pour un être humain et appartenant à une entité géante, qui hantera à partir de ce jour les couloirs du château.
 
Les personnages ne brillent pas non plus par leur complexité : les gentils sont très gentils (les princesses Mathilde, Hippolite, Isabelle), les méchants sont  très méchants (le Prince Manfred),  le héros romantique aux valeurs chevaleresques est très romantique (Théodore).
 
Oui mais pourquoi lire ce roman alors ? Mais parce que nous retrouvons pour la première fois tout l’attirail que les futurs auteurs gothiques reprendront en améliorant les procédés : le château hanté, la tour noire, les cachots, les souterrains lugubres, les  passages secrets, le cimetière, le monastère, les spectres, les fantômes et les prophéties.  
 
Je pense que la lecture du récit « Le Château d’Otrante » de Horace Walpole s’impose avant tout à ceux qui veulent rendre hommage au précurseur du roman noir. Quant à moi, je l’ai trouvé assez amusant tout compte fait !
 
Début du roman :
 
« Manfred, Prince d'Otrante, avait un fils et une fille : celle-ci, très belle jeune fille de dix-huit ans, s'appelait Mathilde. Conrad, le Prince héritier, de trois ans plus jeune, était un garçon sans originalité, maladif et d'un avenir médiocre. Il n'en était pas moins l'idole de son père qui n'éprouvait pas la moindre affection pour Mathilde ».
 

jeudi 5 juin 2008

Le Grand Dieu Pan d’Arthur Machen

Arthur Machen base l'essentiel de son univers littéraire sur d’anciennes puissances démoniaques qui demeurent influentes et qui s’immiscent par divers interstices dans l’époque contemporaine de l’auteur, à savoir la société victorienne, sans manquer de causer des dommages irréversibles à ceux qui s’y sont confrontés.
 
Ce récit, publié pour la première fois en 1894,  ne fait pas exception puisqu’il est question de dieu grec Pan,  un dieu de la fécondité mais également considéré par certains comme le dieu de la Vie universelle et le Grand-Tout.
 
La recherche du Grand-Tout par le docteur Raymond le conduira à des années de travail qui aboutiront à une intervention chirurgicale sur sa pupille, Marie, afin qu’elle puisse « lever le voile » et accéder à la totalité de l’univers.  Mr Clarke sera le gentleman choisit par le docteur Raymond pour assister à cette étrange expérience du Grand Pan. L’opération terminée, en pleine phase d’éveil, Marie ouvrira ses yeux dans lesquels une grande admiration se manifestera mais très rapidement suivront des sensations d’épouvante. Marie ne s’en remettra d’ailleurs jamais.

Des années plus tard, Clarke sera confronté à d’étranges événements inexpliqués que seront les décès inopinés de plusieurs gentlemen,  tous retrouvés avec un masque d’horreur à la place du visage. Qu’ont-ils bien pu voir pour que cela provoque une telle frayeur mortelle ?
 
La peur et la recherche de l’inexploré, les expériences mettant en jeu des forces inconnues, l’incapacité de l’homme à appréhender l’univers dans sa totalité (mort pour avoir vu ce qu’il n’aurait pas dû voir), l’intérêt pour l’occultisme et la mythologie,  voilà le voyage auquel nous convie Arthur Machen dans ce court roman. Un classique du roman gothique victorien, qui peut certes paraître bien désuet pour les lecteurs contemporains mais qui demeure une référence dans l'histoire de la littérature fantastique.

Arthur Machen (1863 – 1947) est un écrivain fantastique britannique du  pays de Galles. Passionné par l'alchimie et l’occultisme, il deviendra membre de l'Ordre hermétique de l'Aube dorée.  Contemporain de Robert Louis Stevenson et de Bram Stoker, Arthur Machen a marqué de son influence les auteurs tels que H.P. Lovecraft, Graham Joyce et Peter Straub, dont le roman « Ghost Story » fut directement influencé par « Le Grand Dieu Pan ».

Bibliographie :
Le Grand Dieu Pan (The Great God Pan, 1894)
La Pyramide de feu (The Shining Pyramid, 1895)
Le Roman du cachet noir (The Novel of the Black Seal)
Les Trois Imposteurs ou les Transmutations (The Three Impostors or The Transmutations, 1895)
La Colline des rêves (The Hill of Dreams, 1907)
Les Archers (The Bowmen, 1914)
La Gloire (The Secret Glory, 1922)


Retour au pays de Rose Tremain

Quatrième de couverture

Comme tant d'autres hommes venus de l'Est, Lev décide un jour de quitter sa terre natale pour gagner l'Angleterre, à la recherche d'un travail et en quête d'un nouveau départ, avec pour seuls bagages ses craintes et ses espoirs. Derrière lui flottent les ombres de son passé, en particulier celles de sa défunte femme Marina, et de Maya sa fille adorée. Muni de quelques billets de vingt livres pour assurer sa survie, Lev affronte à Londres un quotidien souvent hostile. Heureusement, les souvenirs sont là, omniprésents, pour garder le lien avec ses racines : les pittoresques parties de pêche avec Rudi l'ami extravagant qui ne vit que pour sa vieille voiture cabossée, les jeux avec l'insouciante Maya... Et puis son émouvant périple sera jalonné de rencontres pleines d'humanité, comme celles de Christy Slane, son colocataire irlandais, ou encore de Sophie, la jeune et charmante cuisinière du restaurant qui l'embauche. Tant et si bien qu'à aucun moment il ne perdra l'espoir de pouvoir rentrer au pays la tête haute.


Mon avis
Ne connaissant pas du tout Rose Tremain mais ayant entendu énormément de bien à son sujet (elle est d’ailleurs considérée comme l’une des plus grandes romancières anglaises contemporaines), je n’ai pas hésité une seconde d’emprunter à la bibliothèque « Retour au pays » lorsque mes yeux sont tombés dessus sur le présentoir. Et j’ai bien fait ! L’auteure nous livre une galerie de personnages extrêmement attachants avec beaucoup d’humanité sur un sujet qui aurait pu facilement sombrer dans un certain misérabilisme sans le talent de la romancière.  Sa manière de nous conter l’histoire douce-amère d’un immigrant venu de l’Est pour trouver un travail à Londres m’a fait penser à  Stephen Frears et à Ken Loach, rien de moins.
 
Je viens d’ailleurs d’apprendre en rédigeant cette note que « Retour au pays », dixième roman de Rose Tremain, venait de remporter le prix Orange Broadband de fiction ce 4 juin 2008. « Je pense que nous avons tous senti qu'il s'agissait d'un formidable exercice d'empathie. Elle est totalement entrée dans sa tête », a relevé la présidente du jury. 


mardi 3 juin 2008

Lanark d'Alasdair Gray

Quatrième de couverture

Non, ce n’est pas une erreur d’impression ! Lorsque vous lisez la table des matières de ce volumineux roman, il s’ouvre bien sur... le livre trois et se poursuit par le livre un ! Et dès les premières lignes, vous êtes bien propulsé dans une histoire déroutante, sans dessus ni dessous. Normal : Lanark, le héros, est amnésique. Dans le chaos le plus kafkaïen, il erre dans un Glasgow froid et sombre, entre sa chambre et le café Elite où il retrouve la bande à Sludden. Dans ce monde en décrépitude, une seule chose l’intéresse : la lumière.

Désespéré, il finit par se suicider et renaît dans un monde de science-fiction dans lequel il devient thérapeute de personnes se transformant petit à petit en dragons. Kafka fait place cette fois à Salinger et ses profondes introspections et, peu à peu, Lanark retrouve sa véritable identité.


Mon avis

Le roman Lanark d’Alasdair Gray est un roman condensé aux facettes multiples : on y parle de société, de bureaucratie, de nature humaine, de difficulté relationnelle, de mort, de l’art, de Dieu, des femmes…

Il m’est difficile de choisir certains passages intéressants parmi d'autres tant ceux-ci foisonnent au fil des pages. Nous retrouvons également beaucoup de références à de multiples auteurs tels que Kafka (notamment "Le château" pour les absurdités administratives et le non-sens et "La métamorphose" pour la transformation en dragons de certains personnages), de références psychanalytiques et philosophiques. La liste des références serait trop longue à énumérer mais sachez que l’auteur a eu la gentillesse de nous les livrer dans l’Epilogue !

Mais voilà, comme vous avez pu le remarquer, j’ai souvent utilisé les termes « beaucoup », « multiples », « nombreux », « foisonnant » et « condensé ». Ce roman, considéré comme un chef-d’œuvre par beaucoup, m’a paru… très long. J’étais pressée d’en finir, de passer à autre chose, je pense que je commençais tout doucement à m’ennuyer tout simplement.  Il aurait peut-être gagné en légèreté, à trop vouloir étreindre de sujets, on finit par s'y noyer… mais cela n’engage que moi, je ne voudrais pas froisser les inconditionnels ;-)

Malgré ces critiques, ce roman demeure une expérience assez unique et originale dans son genre : ambitieux, étonnant, imprévisible et déconcertant, non dénué d'humour.


Extrait

La chaleur produite par un corps devrait circuler facilement à travers, inonder ses pores, son pénis, son anus, ses yeux, ses lèvres, ses membres et le bout de ses doigts par le biais d'actes de générosité et instinct de conservation. Mais beaucoup de gens redoutent le froid et tentent de garder plus de chaleur qu'ils n'en donnent, ils empêchent la chaleur de s'évacuer par un organe ou un membre, et la chaleur ainsi arrêtée transforme la surface en une cuirasse dure et isolante.

Quelle partie de vous s'est-elle transformée en dragon ? 

« - Vous voyez, les femmes sont différentes de nous. Elles sont composées à soixante-quinze pour cent d’eau. On lit ça dans Pavlov. […]

- Les hommes aussi sont faits principalement d’eau.

- Oui, mais à soixante-dix pour cent seulement. Ce sont les cinq pour cent de plus qui font la différence. Les femmes ont des idées et des sentiments comme nous, mais elles ont également des marées, des marées qui n’arrêtent pas de faire flotter les morceaux d’être humain qu’elles ont à l’intérieur d’elles, et de les rapprocher puis de les séparer à nouveau. Elles sont gouvernées par la gravité lunaire ; on lit ça dans Newton. Comment est-ce qu’elle peuvent suivre les conceptions ordinaires du savoir-vivre alors qu’elles sont gouvernées par la lune ? » 



lundi 2 juin 2008

Illuminations et nuits blanches de Carson McCullers


« Le cœur de Carson était souvent solitaire et se montrait chasseur infatigable pour ceux à qui elle voulait l’offrir, mais une telle lumière irradiait de ce cœur qu’elle en effaçait les coins d’ombre. » 
 Tennessee Williams 


Ainsi commence la présentation de « Illuminations et nuits blanches », qui se divise essentiellement en trois chapitres.
 
Le premier chapitre revient sur son autobiographie inachevée, dictée quelques jours avant sa mort, en 1967. Le titre « Illuminations et nuits blanches » faisant référence à l’enchaînement de bonheurs et de souffrances qui ont marqué sa vie. Pourquoi cette autobiographie à l’approche de sa mort ?
 
« Les prochaines générations d’étudiants auront peut-être envie de savoir pourquoi j’ai fait telle ou telle chose, et j’ai envie de la savoir, moi aussi.  J’ai été reconnue comme un écrivain presque du jour au lendemain.  J’étais trop jeune pour comprendre ce qui m’arrivait et les responsabilités qu’entraînait cette reconnaissance.  J’en ai éprouvé une sorte d’effroi sacré qui, associé à mes maladies, m’a pratiquement détruite.  En me rappelant les conséquences que provoque le succès et en les racontant aux générations à venir, j’aiderai peut-être de futurs artistes à mieux le supporter. »
 
Carson décide donc de raconter sa vie avec ses mots à elle (on ne retrouvera donc pas dans cette autobiographie son talent et sa griffe en tant qu’écrivain qui ont fait sa renommée).
L’auteur de la préface, Carlos L. Dews, nous met toutefois en garde : il semblerait que Carson n’ait pas pu s’empêcher de formuler des distorsions et de fausses déclarations, donnant lieu à un texte d’une parfaite franchise et d’une surprenant inexactitude. « Elle savait d’instinct ce qui était trop important pour être romancé et ce qui laissait libre cours à son imagination. »
 
Le deuxième chapitre concerne la correspondance échangée avec Reeves, à cette époque divorcé de Carson. Après deux années d’absence et de silence, Reeves reprend contact avec elle peu après son engagement en tant que Rangers sur le front qui fait rage en Europe dans les années 44-45. Ces lettres sont le témoignage des liens étroits les unissant : Reeves y parle de son quotidien et de son amour pour Carson. S’amorcera ainsi petit à petit une réconciliation qui aboutira à un second mariage, peu concluant et aussi destructeur que le premier. Reeves se suicidera d’ailleurs quelques temps après cette seconde séparation.
 
Cette partie m’a le moins enthousiasmée ; échanges intimes où je n’avais pas ma place, impressions de voyeurisme, ennui aussi, j’ai rapidement délaissé ce chapitre pour passer au suivant.
 
Le troisième chapitre rassemble trois nouvelles inédites où elle exprime sa solidarité avec le peuple noir. Richard Wright disait qu’elle était le seul écrivain blanc à être capable d’écrire sur les Noirs.  Ces courtes nouvelles, les dernières que Carson aient écrites avant sa mort, étaient assurément ce qu’il y avait de mieux à lire concernant ce livre.
 
En conclusion, « Illuminations et nuits blanches » est destiné avant tout aux fans de l’auteure.
Le fait que son œuvre romanesque emprunte beaucoup à son vécu et ses expériences personnelles donne forcément envie d’en savoir plus sur sa vie, ses relations amoureuses, ses amis, ses dépendances… mais au fil de ma lecture, cette curiosité me semblait de plus en plus  superflue.  Je préfère avant tout découvrir Carson McCullers par le biais de ses romans et nouvelles.